dimanche 20 février 2011

camemberts



Je me suis forcé à mener à bien quelques natures mortes. J'avais du mal à voir comment me situer depuis mon regard sur la peinture, dans le genre "nature morte". La première (la tulipe) est la seule qui semble vendable, malgré que j'aie pratiqué le calligramme dans les parties découvertes. J'ai peint depuis une certaine distance, éteinte, la tulipe ancienne qui m'accompagne quand j'écris à la typo. Les deux autres sont des retours un peu moqueurs sur une idée qui est loin d'être épuisée : le rapport du camembert au génie. Mais ce ne sont que des ébauches bien loin de toucher le fond de mon idée, pointant un peu vers de vieilles faiblesses. L'humour, le regard pétrifié de l'étudiant, le sexe. Je me rends compte de que, dans la suite, j'ai accompli un travail puisque j'ai donné toute mon énergie à contrecoeur, puisque j'ai donné naissance à une oeuvre d'art et deux exercices, peut-être si la chance me sourit à trois oeuvres d'art carrément. Que la sensation de travail accompli apaisant ma mauvaise conscience, je prends pour un pur loisir d'écrire, un loisir auquel j'ai droit. Et en plus je mets un peu en contexte existentiel mes natures mortes.

Je voulais aussi parler de la couleur. Une écrivain qui m'a connu récemment et qui a aimé ma peinture, m'a assuré que je suis un coloriste. Je me suis dit que cela ne pouvait venir que de quelqu'un qui n'avait pas suivi mon parcours, ou plutôt ce qu'on disait d'habitude de mon travail. Mais, malgré que chez moi l'atout qu'on relevait tout de suite ait été depuis mes débuts la maturité et la grâce du dessin, je pensais à la couleur depuis que cette qualité de base dont je me flatte a été amplement reconnue.

Ainsi mon parti pris dans la couleur, je le résume dans une des Dianes de vieillesse de Giorgio de Chirico, pour les desiderata, mais chez la palette incomprise de son vivant d'un Delacroix, pour ce qui est de la réalité de mes pratiques. Malgré son adresse dans la composition et son sens de la forme et même du clair obscur et des mis-tons, il était, pour certains, insupportable à cause de ses choix dans les harmonies de couleurs.
Ce n'est pas le cas du premier camembert, où je reste encore dans une sidération sans vie, mais c'est bien le cas en ce qui concerne le travail méthodique de "la tulipe", où je prends soin de relier avec le reste de ma peinture par l'écriture sur le tableau et aussi parce que les couleurs ont la même attention imaginaire au réel du reste de ma peinture.

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8 commentaires:

Manuel Montero a dit…

On discutait Arthur Louis et moi, tout à l’heure, de peinture, et c’était très agréable. J’y vois la même abondance de références, imprégnées de fétichisme, juvéniles (et oui, c’est juvénile le fétichisme, regardez de près) et rapides et bien moulées que dans ses chapitres des Latines. Du coup j’ai senti une sorte d’émulation en tant que peintre et j’en ai peint des natures mortes.

J’y ajouterais, mais ça je le fais pas sur mon blog à l'entrée, mais ici en tant que commentaire, l’idée de bestialité qui va associée au camembert qui nous fait péter fétide, l’attirance et la répugnance de Pasiphae. Et comment Dali (peintre qui est le Christophe Colomb du camembert pour l’art, et pour la foi et le génie du camembert une sorte de prophète) vient à fabriquer sa nature morte coulante comme Dédale figura l’artifice d’une sensuelle vache pour le père du Minotaure.

Manuel Montero a dit…

tiens j'ai bien fait de dire "une écrivain" et non pas "une écrivaine" "un écrivain" ou le prétentieux "une amie écrivaine", je vais simplement éclaircir la question "mon amie écrivaine Marie-Agnès Michel". CQFD

Arthur-Louis Cingualte a dit…

Je reprends - internet n'était pas avec moi ce week end.

C'est une superbe émulation. Elle me flatte dans son origine et sa cohérence. Tes fromages tiennent la promesse de la chose qui se périme -j'ai songé aux ongles des saints de Ribera et à la fameuse coupe de raisins pourris de Caravage. Avec le fromage le memento mori - comme chez Caravage lorsqu'il peint les choses gâtées - emprunte au lait, à l'espoir du maternel, ses pôles qui se combattent et à son manque d'équilibre. C'est diaboliquement habile. Je comprend tes citations de Delacroix et de Chririco (on se rejoint, je crois, d'ailleurs sur la solidité marmoréenne et la souplesse mystique de ses oeuvres sous l'égide du Valori Plastici). J'y vois la fausse précarité de la pause, en course, d'Atalante.

Et ta merveilleuse tulipe incarne la grâce mystique d'un saint, de profil, peint par Pierro Della Francesca. Les coulures y sont belles comme les touches jaunes plus sonore de tes fromages, comme des spectres trop vivants - donc peints.

Je pense que Salomé les aurait bien demandés sur son plateau tous ses fromages.

Je pense qu'elle danse pour toi.

Je pense que tu sais la calmer comme l'attiser.

Manuel Montero a dit…

disons que c'était aussi réducteur chez moi la nature morte au camembert que ça pourrait se résumer dans une auto-thérapie punitive de ma part par laquelle je m'oblige à considérer le camembert trop fait, donc j'essaie d'en être dégouté pour me sevrer de lipides, quoi, je veux pas grossir.

Arthur-Louis Cingualte a dit…

C'est un excellente raison. Moi je n'en mange pas - l'odeur m'est insupportable. Mais je reste impressionné par la qualité plastique de tes camemberts. Peut-être l'odeur...?

Manuel Montero a dit…

Pour être exacts, le camembert n'était pas là. C'est une peinture d'imagination. Mais ce sont les lendemains du camembert, croisé par malheur dans l'enthousiasme du restaurant, où l'organisme renvoie des odeurs qui nous font souvenir du fromage comme on se souvient de la gueule d'un violeur, ou d'un employé du Pole Emploi.

Arthur-Louis Cingualte a dit…

C'est ça qui me fait divaguer comme un junkie slave.

Manuel Montero a dit…

A l'atelier j'aime le camembert frais et encore solide pour le déchirer comme une hostie et le manger débout sous les fluorescents, pour m'abrutir quand l'intelligence fait mal et l'on est si contemplatif que l'on a besoin du sang et de la viande d'un jeune maître, lue de travers, vite mâchée, en écoutant de la musique, pour oublier et finir à la main quelque chose.