samedi 21 mai 2011

Sur Dante (II)


Cliquer ici pour lire la première partie de la rédaction (Sur Dante)


"3. POUR COMMENCER, en Eccle. 11, 3 il est dit "là où le bois cédera, là-bas tu te verras" : de quoi il découle de façon manifeste qu'après cette vie les hommes n'accroissent ni les mérites ni les fautes, par rapport à celles qu'ils avaient dans cette vie. Or beaucoup de damnés n'ont pas été des blasphémateurs. Ceux là ne vont plus blasphémer dans la vie future."

Laissons à ce point Thomas d'Aquin poursuivre les pour et les contres de son affirmation. Il en est question de l'obscur Apocalypse, et du jugement du Docteur Angélique sur la méchanceté future persistante chez les damnés. Et la lecture dévient tellement écoeurante que j'ai du mal à me démêler jusqu'à la fin de l'article quart à cause du sadisme que l'auteur, au nom de l'Eglise, avait voulu rendre sublime et du domaine du savoir. Donc, ça me tombe des mains, mais il ne reste qu'une moitié non traduite et le détail ne va pas changer la chose. J'ai déjà mis le contraste entre l'expressivité des personnages de Dante et la soumission implicite de l'homme par le discours scolastique. Dante aurait-il été un mauvais élève, en égard de la théologie qui lui a été prêchée; mais qu'en sait-on de la plasticité d'une oppression qui lui était contemporaine ? Il a fait donc juste une petite malice, une caricature dans son cahier.

Toute lecture édifiante emprunte ses notions au non-dit. Fréquemment le discours pervers ne fait que singer ce qu'il voit ou écoute chez ses victimes; la littérature n'en est pas différente du discours légaliste, elle tâche juste de le camoufler. Disons que la Divine Comédie camoufle par conséquent une violence réelle, celle du quotidien. Camouflage en miroir à trois pannes. L'on ne peut que la lire par curiosité, ce qui est d'ailleurs un grand plaisir.

(cliquez ici pour lire la suite - Sur Dante 3)

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jeudi 19 mai 2011

Sur Dante (nouvelle mouture en cours de travail)


Sur Dante

Grosso modo, l'on viendrait à dire que le but, s'il y en a, de cet essai, est double, ou triple. Dire du mal est toujours multiple, à doublure, et c'est le caractère de l'écriture romantique, en rupture avec l'académisme et ses louanges du convenu, du classique digéré et dont il est la tisane digestive.

Quelles sont les chiffres qui ordonnent notre "noire" vision de Dante ? Ils nous serons fournis par de vieux réflexes universitaires devenus un peu sauvages. Mettons nous à parler, j'aurai préféré m'adresser de vive voix à quelqu'un assis en face sur le canapé et lui entasser les livres que je veux mettre en contrepoint de la Divine Comédie.

Je suis intéressé à savoir dans quelle mesure la Divine Comédie viendrait remplir la tâche de donner une image plastique à la philosophie scolastique de la Somme Théologique.

Je suis intéressé à savoir si la seule femme que Dante avait en tête en écrivant, était ce vieil amour mort d'une fille entrevue. Cela semble si calculé que l'on ne peut que songer à des femmes cachées ou à une apathie totale de Dante.

Je considère un artifice du même ordre que la nécromancie cette Béatrice ranimée tellement d'années après sa mort, pour remplir les tâches pénibles de la poésie, déjà cadavre en fin de compte, pour devenir le guide et l'objet d'adoration des parties sublimes du poème en trois volets.

Il est intéressant de savoir qu'il y a une transmission presque directe du thomisme chez Dante étudiant. Qu'il ne se contente pas d'être simple illustrateur de corollaires et rend le débat intrinsèque à la dialectique idéologique de la Somme. Comme par exemple lorsque Vanni Fucci blasphème par le biais d'un geste obscène la tendue controverse scolastique de si le blasphème est possible en Enfer est rendue par la pleine contradiction et par la plasticité du récit et de ses personnages.

Il était nécessaire que le blasphème puisse être proféré par les damnés dans la Commedia, puisque sinon il ne serait plus possible dans l'art et il ne pourrait tenir lieu la condamnation de l'art.

Il semblerait curieux que le serpent, symbole shivaïte, vienne punir en Enfer Vanni Fucci et les voleurs en général. Daniélou, sur ce thème, à part de présenter Shiva en parallèle avec Dionysos en tant que dieux de l'extase, fait de ce premier le patron en Inde des voleurs. Le serpent lui est lié par la tradition du yoga, sous le nom récent de Kundalini. Mais ce symbole ne devrait pas forcément nous envoyer dans une trop haute envolée. Ce ne serait qu'en même temps ce que cet animal est pour le paysan, un accident. Mais il est drôle que cet accident porteur de poison soit associé à la connaissance, à l'énergie, et que le voleur souffre par là. Le fantasme du péché contre la propriété privée serait-t-il celui d'un tomber plus bas dans le savoir ? La peur de l'irrespect, de l'accident noétique comme dissuasion inutile de Vanni Fucci, puisque c'est lui qui va aller jusqu'au blasphème ? Il en est plus de l'attentat à la pudeur, presque plus qu'aux richesses. Les richesses, le bien-être proportionnel de chacun, sont assimilés à l'intime, et de là au secret et au sacré il n'y a qu'un petit sautillement de la conscience.

Cela coûtait dix lires à l'époque, chaque fois qu'on fasse ce signe adressé à une image sacrée de Dieu ou de la Vierge, la figue, selon la loi du Prato.

Le Canto XXV commence in abrupto par ce blasphème : Tiens, Dieu, c'est ça que je te donne ! "Togli, Dio, qu'a te le squadro !" A peine fait-t-il allusion au discours pamphlétaire que Vanni Fucci vient de prononcer à la fin du Canto précédent. Le nouveau coup d'éclat pour le poète, le nouveau centre d'intérêt est le blasphème dans sa pour ainsi dire nudité, la nudité des faits.

Il n'est plus état du cercle des blasphémateurs, mais du blasphème à l'intérieur d'un cercle autre.

Voyons ce que dit la Somme (je traduirai librement du latin) :

Deuxième partie de la Deuxième partie

question 13

article 4

Si les damnés blasphèment

AU QUATRIÈME L'ON PROCÉDERA AINSI. On verra que les damnés ne blasphèment pas.

1. Une certaine punition nous arrête de blasphémer en notre vie présente. Or les damnés sont en train de faire l'expérience des douleurs de cette punition, et ils doivent à plus fort titre regretter le blasphème. Alors ils doivent s'abstenir encore plus du blasphème.

2. POUR COMMENCER, le blasphème, tant qu'il soit un péché très grave, il est avant tout un démérite. Or dans la vie future il n'est pas état de mérite ou démérite. Alors il n'y aura plus une place pour la pratique du blasphème.

3. POUR COMMENCER, en Eccle. 11, 3 il est dit "là où le bois cédera, là-bas tu te verras" :

(cliquer ici pour lire le reste du texte)


+

proyecto con Claudia Gochicoa (happening)


collage, Manuel Montero, 2007


Se trataba de poner en cuestión el gesto callejero, la lucha que opone, bien antes que al rico y al pobre, al hombre que tiene miedo frente al que no lo tiene. Era también cuestión de la ley y de la geometría que nos hacen pagar por ocupar el espacio, por establecer cualquier tipo de dialéctica con lo femenino y con la naturaleza. Hablábamos de eso.

¿No piensas que en un happening como lo que pensamos lo único que debería integrar el circuito del arte : galería, vídeo, texto o conferencia, serían las reflexiones veladas, los ejercicios de memoria o a lo sumo los objetos alterados por los olvidados? O sea el post-happening.

Sí, buena idea... claro

En la medida en que el happening, al contrario que la performance, es una transgresión que tiene lugar en lo real.

Eso es lo interesante. Curioso, también se le llama acción al happening.

Chica, eso es prestigio "retro". Hay que explicar el valor de resistencia de la acción, en este paraíso de mermelada (como decía Lía Guerrero). ¿Qué tal invitar a la "gente" a intervenir emocionalmente sobre el pelele de Judas, como los tarahumaras?

Estoy de acuerdo en reconocer el valor de las acciones de resistencia cotidiana. Manuel, voy a desconectar : estoy exhausta de tanta emoción hoy. Mañana más.

*

Tomando conciencia, en un simple paseo por el Barrio Latino, donde tanto se movió en mayo del 68, de la impotencia en que estamos para volver a la práctica del happening,

decidí :

comunicar a Claudia para reflexión ciertos nuevos conceptos que me sugería el estado ambiente

proponer a Claudia el trabajo a distancia en este blog

lo cual supone :

que esta entrada será lugar de deliberación (un nuevo trans-blog pero específico)

que esta entrada está abierta a futuras publicaciones de Claudia Gochicoa en el cuerpo del texto y de los que quieran participar en el espacio de comentarios

lista de conceptos a debate :

La debilidad en la que nos pone esta necesidad de anestesia para vivir una sociedad perversa

véanse si no los que van en el metro con la música en los auriculares como si estuvieran bajo perfusión, recibiendo gota a gota un trato propio de un hospital y no de la calle

véanse los porcentajes de gente que se pone realmente bajo tratamiento (estar "agitado¨duele)

véanse los carteles del autobús en Paris que son casi victorianos (¨si su conversación privada la escuchan las demás personas, ya no es privada¨) y que moralizan sobre prácticas subjetivas que no debieran nunca ser normalizadas de ese modo

la posibilidad de un uso revolucionario de la inercia en la transformación del gesto social

*

mardi 10 mai 2011

Portrait fait par Claudia Gochicoa pendant son exposition (détail)

Voici un détail du portrait que vient de faire de moi l'artiste peintre Claudia Gochicoa.

Elle expose actuellement jusqu'à ce week-end au 42 rue Lamartine (métro Cadet) dans le IXe arrondissement. La galerie a été offerte par le P.C.F., dans une prise de parti courageuse, aux artistes underground et remuants comme Claudia, dont le travail de peintre va de pair avec une intéressante politisation via le Mexique, son pays d'origine.

Ses influences s'avèrent éclectiques, riches, à l'écoute de la haute culture comme du vécu. C'est souvent le cas chez les peintres et écrivains mexicains.

Des noms circulaient dans les deux sens, nous faisant écho, pendant la conversation, en dessinant : Klossowski, Bataille, les situationistes, Agustin Garcia Calvo, la poésie d'Isabel Escudero, Picasso, Diderot, Le Capital de Marx, les tarahumaras, le papier amatl des indiens otomi (dont la fabrication a été interdite par l'Inquisition, comme si d'autre drogue des sorciers en était, le papier des codex précolombiens, de tant de bibliothèques peut-être à jamais perdues)...

Blood For Dracula (1974): opening credits with Udo Kier



Here you will miss the final gag of the chair moving by itself.

dimanche 8 mai 2011

Nouvelles conversations de Dalilah et Guido


Nouvelles conversations de Dalilah et Guido

Guido

Le briquet rouge pour l'amour, le noir pour protection

mais dans ma poche juste il y a de l'amour

tant pis

je fumerai le risque

Tu m'annonces ma mort

poignardé dans le dos, que ce sera toi

l'auteur, le baiser de la vipère

je fume du sang de Cleopatra

nous avons écrit déjà ma malédiction et la tienne

ma trahison sera mourir

et la tienne te blesser avec ton poignard vivant

ma honte et ta langue

qui de nous est poignard et qui gaine ?



Guido

Je saurai reconnaître la ciguë persillée et pudique

le silence par le philtre, la drogue unique du philosophe

ce sera une promenade sauvage l'ultime délicatesse

qui nous fait cueillir l'herbe du suicide

Mon corps sera à mettre quelque part

dans les livres et dans la peinture

Guido l'athlète sera philosophe socratique

par le pacte de l'illusion

la littérature, le cinéma sont un contrat

avec l'art qui viendra et que notre corps marchande



les réponses de Dalilah s'écrivent en réponse ou en question aux poèmes de Guido

Guido

Tel un voyou dans les fantasmes

dans la lettre du mensonge

j'ai fait battre ton coeur



Guido

The Illustrated Strattford Shakespeare

faisait du sur-poids pour mon vol

sera-t-il resté sur l'étagère ?

*
Guido

Lequel ou laquelle tu préfères

des phrases de Shakespeare ?

Peut-être le délire n'est que citation

tu es capable d'écrire la meilleure tragédie

dont on se souviendrait et tu serais

Ophelia la muse du poète

Mais tu es Dalilah et Sanson expire

quand tu m'ajustes le front



Guido

Dissoudre la structure de ta sueur

dans le champignon total et rapide

de la mort du désir par la jouissance

ta chair divague dans le plaisir

d'un rien, d'un disparu, d'une soeur au pied de ma tombe, mon lit d'oisif

avec le seringue et le dicton de la panique

"tu calmes" me diras-tu dans la promenade

"ferme-la" je pense que tu vas me dire

et la peur que je renifle est d'ambre et du cristal de benjoin

toute grâce est ta posture



Guido


Quelque part dans l'enfance

dans le monde invraisemblable des fantasmes

est prévue la manière de la mise à mort

pour chaque femme, pour chaque traître à la loi

nous avons lu ensemble le livre du temps

notre crime est l'inceste

ou bien je te confonds avec la mère

de mes neveux



Guido

La confiance d'une nièce

le poignard dans le dos d'une belle-soeur

tu dépasses la lune par le teint

l'arc d'Apollon pour maudire tu tends

tel un papillon



Guido

Il y eut un sauveur, un nouvel Adam

nous l'avons fait et c'est artificiel et éphémère

l'homme est toujours l'homme et rien de tel

arrive au dieu, ni la fumée, ni le rêve

il est seul, il est poète, chez lui l'homme n'est pas l'homme



Guido

Le soir tombe doucement

ceci est ton silence

tu ne me réponds

qu'avec licence de mal aimée

nonchalamment

Vais-je publier que tu me manques ?

Vais-je, tel Orphée ou tel Orlando, secouer les larmes des saules ?

J'arrache l'arbre, l'arbrisseau, l'enfant

au silence d'une femme, je secoue la lettre

les lions ont du salpêtre dans le faux marbre des yeux

le soufre qui soigne et qui affole

la farandole du poème se baigne

habillée de malchance si elle se veut

du devant

nue sous sa loque elle trempe dans le dragon

et la feuille morte se mouille du philtre

pour ma disgrâce je porte ta trace

dans la mémoire du coeur et dans le noir

des étoiles qui dansent la mort de l'espoir

Dalilah, je suis perdu dans l'île

le vent est plus grand dans son chant que l'araignée et le peigne

sur l'orchestre Melusine chemine en nageant

et mon livre est scellé à une seule page

mais libre est la lecture de sa fin

la jalousie de l'usure ne déteigne ta crinière

tu ne serais la première à m'avoir tué des feuilles

tu serais la ciguë deuxièmement, je connaîtrai la ciguë

déjà l'instant avant

+

samedi 7 mai 2011

Karen Dalton Tribute



Gracias a Elisa-I. Prieto por el descubrimiento.

vendredi 6 mai 2011

j'appelle ça calligramme




eruditos a la violeta

Catacumbas de un sueño




La otra noche, habiéndome dormido en el sofá del taller, soñé con mi padre. La situación era inusual, sin ser realmente extraña. Sencillamente nunca me he encontrado con mi padre hablando en mitad de la noche en su cuarto, sentado a su lado en una cama, no ya de matrimonio, sino estrecha. Una confianza que solamente pude haber tenido con él en la primera infancia. En todo caso en mi sueño mi padre me mostraba libros que estaba estudiando. Nos demoramos en uno de pintura paleocristiana y me desperté con la idea de pintar uno de esos Cristos de catacumba, sobre el que hice esfuerzo de memoria visual durante el despertar.

Seguidamente, puesto de pie, tuve que reducir la idea temporalmente a simples dibujos a la tinta china. Eran las cuatro de la noche, no tenía tela lista para realizar un cuadro propiamente dicho. La idea era sospechosa de todas las ambigüedades que contienen los sueños. Quise hacer la tinta china como de costumbre, sobre el papel empapado en leche. Es mi forma de rendir ofrenda a la imagen pintada y de incluir una secreción animal en la obra, al mismo tiempo que la leche abre la pincelada y permite medias tintas espontáneas. Pero no tenía leche en el taller. Así que abrí el frigorífico y, aún habitado por la clarividencia del sueño, decidí echar mano de una carísima botella de vodka que tenía guardada para los invitados especiales. No para beber, sino para diluir la tinta y hacer las medias tintas. Les presento hoy esos dibujos que no sé cómo interpretar, sino como una presencia inmediata de viejas creencias en la imaginación.

lundi 2 mai 2011

Sur les vers de Juliette




portrait au crayon de Juliette Bagouet, entre 2009 et 2010


Sur les vers de Juliette

mails





Chère Juliette Bagouet,

La lettre qui suit est le produit d'une nuit. Je ne peux me reconnaître bien la lisant au grand jour. Elle me semble ridiculement baroque, trop sérieuse et semblable à une écholalie d'enfant autiste. Je vous assure qu'une bonne partie n'est que de la sonorité, n'ayant à la relecture aucune signification, même pour moi. Par exemple mon histoire du tropisme et du politique. Les paroles sont venues automatiquement et je reste attaché à leur énigme comme dans un rêve. Si je vous fais, donc, parvenir cette lettre, c'est parce que je pense y avoir parlé d'une manière ou d'une autre de vos poèmes.

*

L'on récupère l'innocence en vous lisant. Si je peux devenir inspirateur je suis prêt à sentir la muse qui me dit "tais-toi, il ne t'est pas convenable d'être entendu", et à me livrer à la lecture avare, sans rien dire.

Mais je viens à l'insomnie ce soir pour aboutir, pour donner au texte ce qu'on appelait une fin en deus ex machina. Et tout comme en cartomancien je me servais des images qui tombaient sous mes yeux, je vais dire la bonne aventure poétique en relisant vos poèmes.

Un goût presque de l'Inde dans celui-là :

La bougie la bougie
Luciole de table immobile mais encore
Branlante
Participant de façon active
A la brouille de ma vue
A l’affutement des mots
Bougie rouge jaune incisive
Et brève quelque
Part

Un bon poème est comme un oracle dans lequel on peut lire l'avenir ou le secret du présent. D'où sa musique; son origine est le musée, le domaine des muses, le musée qu'on porte en soi. Le poème, tel celui-là, porte en soi les marques d'une destinée, l'imago. Vieillir ou être exécuté, des signes.

Des poèmes comme des tableaux. Connaissez-vous La phalène, de Balthus ? Je crois que le tableau s'appelle comme ça. Dans ce poème, l'on reçoit ce tableau en image de soi. Aussi, prendre pour prétexte une pièce de texte si belle autorise à parler à l'aise, à écrire en toute confiance.

J'ai beaucoup aimé vos poèmes. Je peux vous parler de mon rapport propre à la poésie. C'est une saignée qui m'affaiblit et qui, nonobstant, me dégage l'intérieur, d'habitude débordant. La dignité et l'équilibre je les retrouve dans le travail manuel de l'atelier, et je n'appellerais pas cela travail. Pour être juste, je parlerai de la peinture comme d'un loisir sérieux, d'un jeu qui rend service à l'humanité, comme le fait la sexualité, humblement, sans l'emprunt d'une quelconque dignité, se servant des organes de la pudeur et des substances qu'on marchande, rouge de Venise à la base. Sang de dragon, qu'on dilue dans la térébenthine, qu'on porte dans les poils d'un pinceau. Blanc de Titane qu'on prend dans la main, comme l'ours le miel.

Un de vos poèmes semble la recette d'un tournesol de trois couleurs, c'est celui qui parle de mes pantoufles, si vous permettez que je me reconnaisse dans ces chaussons d'esquimau. Je me projette en avant, je me remets à peindre. Je pense à votre portrait, qui peut encore supporter des repentirs en aller retour.

Deux petits chaussons d’esquimaux,
Foulant le sol et les oxydes
Deux chaussons de peau et de chaud
Aidant un sang
D’encre
Haut dans le ciel,
Les mouettes crient le rappel
De l’ordre nouveau
Du doux chaos des temps
Deux.

***

A l’heure où se noircit le ciel,
Venus en gris babille.
Elle.

Face au mystère de vos évocations de la planète Vénus, l'on redevient innocent, comme l'était l'humanité avant la venue du Christ. La bonne poésie est de transmission orale, avant d'être texte, tout comme le platonisme ésotérique. Et j'entends votre voix dans ces lettres alignées en écriture. Ecouter l'écriture, quand vous dites :

Haut dans le ciel,
Les mouettes crient le rappel
De l'ordre nouveau

Chaque vers peut se concevoir comme une annonce faite pour soi, puis suspendue sur le monde, comme l'étoile des bergers. L'on pressent le journal de bord d'une capitaine errante dans le tropisme parisien. Tropisme de la grande ville dans la technique d'écriture. Je pense que vous savez que le monde va se politiser comme avant, d'un moment à autre. Le tropisme est politique. Paris est cela, un tropisme qui nous redresse, qui nous adresse. Paris est notre corps.

Les mouettes crient le rappel

Et bien, c'est le langage des oiseaux, signature de l'heure. J'assume d'être inspirateur, je me fais simulacre, je me laisse observer, tel un canon grec qui apprend le dessin au charbon des débutants. Je n'ai plus de sens qu'un ensemble de mesures verticales, qu'une lumière oblique qui éclairerait les premières nuits en adulte de ceux qui m'observent avant de rentrer. Le créateur qui se cache dans le mannequin. Vous avez vu Blade Runner ? Libérez les colombes, semble dire sa fable, faites voler votre âme, par le philtre ou par la fièvre.

Encore des oracles, du langage annonciateur d'oiseau, quand vous écrivez :

La quarantaine qui se profile
La vie s'épaissit les cuisses

Le profil est une humaine invention, un artifice total auquel vous associez la mesure de durée d'une vie. Puis les cuisses font l'incubation du dieu, nous sommes dans un antre merveilleux dans lequel deux bouts de phrase dans l'eau nous lavent. Vous remarquerez que, déjà dans la nature de dieu, l'oiseau est toujours de profil, comme ce coup de poing au ventre que sont les 40 ans.

Je ne vois pas en quoi vous seriez une poétesse non consacrée, non reconnue, sauvage, compte tenu de la dignité de votre écriture.

Quant à la mimique qui marque la différence du poème par rapport au langage articulé, vous êtes bien préparée, ayant fait de nobles études.

Je ne peux que vous livrer des lyrismes. Voilà l'ornement du dieu qui descend porté par la machine, là ou l'oeuvre meurt. Vous donner la repartie de ces quelques vers, en toute intimité pour l'instant, c'est ce que je suis en train de faire. D'un jour à l'autre l'oeuvre est finie, tout comme la ruine arrive.

Le poète en oiseau sifflote comme le voyou.

*

Vous avez tous deux l'art de l'invention et celui de la composition. Je me sens proche des images que vous produisez avec votre écriture, mais je suis surtout étonné par l'élégance des mises en oeuvre sobres et parlantes, la façon dont sont composées les images. Certains poèmes brefs font penser à Sapho, après on en trouve d'autres, chantants, avec un avant-goût d'improvisation qui rend le jour le jour.

Donner mon avis par écrit ça me semble trop sérieux, maintenant que je m'y mets, à part ce que je viens de dire, qui est, je sais, peu de chose. Il y a plusieurs traditions ou registres qui s'offrent aujourd'hui au poète, et chacun a ses vices et ses défauts. Donc, de plus connaître et de découvrir davantage, nous permet de ne pas accorder une valeur totale à ce qu'on fait et de mieux endurer les revers de la vie de tout poète. On reste ainsi attaché à son oeuvre sentimentalement et non par vanité intellectuelle.

Cette remarque ne vient pas nier le fait qu'en plus de la musique des vers, l'on perçoit une joyeuse et ferme intelligence derrière ce que vous écrivez. Par moments elle semble souffrir de ses contradictions. Contradictions apparentes pour la surveillance de soi, mais qui sont, tout comme la solitude, une pure illusion, et la preuve c'est que vous avez écrit cela et que cela, au moment de le faire, vous a plu.

Comme quoi, la parole écrite sur écran est prête au malentendu, comme à l'adolescence l'était toute parole, qu'elle s'adresse aux parents ou aux muses. Je me perçois paternel et je voudrais être simplement fraternel, vivement de vous retrouver en personne pour rire et parler avec la voix vivante et non par la machine entremetteuse et enfantine.

*

La question de la science-fiction que nous nous étions tous deux posée, par l'intermède d'une même muse commune, notre amie Patience, m'amène à un point sur lequel je voulais vous entretenir. Je songe à votre poème suivant :


Notes parsemées d’étoiles et d’Astérix
Sur un rapport interstellaire
Le zorg se repend en songe dans les étoiles
Et sa femelle suit
Leur accouplement se fera à l’heure rouge
Et la lune tombera sur Ixi-


L'idée de l'oeuvre du poète comme un monde, fermé plus ou moins à clé. L'idée qui se fit très tôt dans ma jeune tête, à travers les cours d'Histoire au lycée, en ce qui concerne les textes anciens des débuts de l'écriture, que tout poème serait en premier lieu l'outil d'une vision totale du Monde, d'un questionnement de ses origines, d'une cosmogonie. Peut-être les lectures forcées mais consenties de la Bible y sont pour quelque chose.

La science-fiction, telle qu'elle nous est inspirée par Patience, a bien des versants et des issues poétiques, puisque elle est aussi artiste et une muse féconde. La cosmogonie en est un, mais un autre non négligeable est la féerie, le monde courtois et chevaleresque, dans le carnaval des planètes et les masques de ses extraterrestres.



Patience Tison en odalisque, huile sur toile, 2009


Par ce qui nous a été montré, en exclusivité par rapport à la science-fiction banale de type policière qui baigne dans la paranoïa de l'homo normalis, ce qui nous a été montré par notre muse et amie, est l'amant venu du ciel, le regard lointain qui ne peut paraître que bizarre, l'union avec Dieu, peut-être, ou bien l'Amour tout court pour l'autre sexe et, chemin faisant, une ascèse du narcissisme qui est tout sauf complaisante, qui est un chemin de pénitence et de douleur. Nous partageons ce secret, cette clef qui peut ouvrir et fermer les poèmes.

Parce que la science fiction devenue poétique n'est plus l'objet d'un film, d'un montage structuré artificiellement, mais d'un rêve, d'une image qui ne s'épuise pas, puis qu'il ne nous est pas donné de la communiquer à autrui.

Tout était chez Bowie, me direz-vous. Son Ziggy Stardust est un peu un modèle formel pour nos approches de ce rêve partagé, entendu, rêvé à nouveau, raconté. Mais d'autres savoirs ont une place dans le poème couché par écrit, soit votre équation savante qui jette les ciments du poème à venir, par le nom en minuscule du temps et par la majuscule d'un monstre traditionnel :

Les temps
Dard-dard
Du drapeau
A la bannière de sang
Ciments des mondes
Léviathan !

Les topiques vont se dissoudre tout comme l'âge nous change, les lieux communs se feront rares, nous serons des gens, des solitudes, et aurons des points d'alunissage beaucoup plus reculés et nombreux que les multiplications ridicules du scientifique profanateur et de l'industriel.

*

Pour en venir à la valeur de la métaphore, dans La marquise d'0, Kleist nous montre, à travers Rohmer, une bourgeoisie imprégnée de manières chevaleresques mais creuses. Dans la politesse et la convenance, les amants trouvent l'obstacle et l'équivoque. Nonobstant, le film est un chant au pouvoir d'effraction de la métaphore. Le rêve du cygne du lieutenant russe apparaît deux fois dans le film, comme l'annonce d'un viol et comme sa nostalgie rassurante ou son expiation.

Par dessus les phénomènes de mode, dont la science fiction, ou les nouveaux désirs collectifs vite repérés par l'industrie, nous avons besoin de rendre habitable le poème, de nous l'approprier. L'idiot le fait sans difficulté par son entêtement dans l'opinion. Mais cela est valable pour le roman, à peine pour le poète. Peut-être le jeune adolescent habite-t-il ses premiers vers par sa confiance totale. Mais qu'advient-t-il quand nous avons une passion adulte et forte qui nous habite et nous demande de créer un monde ? Dans ce cas il nous faut cacher dans le poème, sous clé, nos grands secrets. Je trouve exemplaire l'histoire de la Marquise d'0.

Le vécu finit un jour par nous fournir un monde onirique puissant qui est comme l'élément frappeur dans nos métaphores, le météorite d'opacité que nous lançons aux profanes, opérant le charme et, à nous écouter, tous sont d'abord profanes.

Ceci n'empêche que la plupart de ce que l'on écrit reste loin d'être poétique et que nous soyons trompés par la facilité de la mode, parfois même dans ses déclinaisons les plus communes et vulgaires. C'est que l'inspiration d'une muse forcée donne des résultats médiocres et, la plupart de fois, l'être humain est pris dans de violents mirages.


*

Hier j'avais l'inspiration, je me sentais capable de vous répondre et aussi de développer une longue digression qui vienne contrer la vision négative qu'ont nos contemporains du "protocole", comme vous dites, de la "muse". Ce matin où je viens de vous parler confusément au téléphone, j'ai perdu toute impulsion, toute clarté. Je suis à la merci des flux et reflux de ma chimie à moi.

Grosso modo, j'envisageais la lecture du protocole poétique de la muse, subséquente au féminisme, comme un schéma où c'est l'homme qui parle et la femme qui pense et écoute, condamnée à une sorte d'anonymat. Combien d'artistes hommes n'ont pas bâti leur art sur le sacrifice de la femme qui était à leur côté ? C'est tout un lieu commun que l'artiste est un vampire gentil, qui puise toute sa force d'une femme qui serait une artiste potentielle, une femme qui est effacée, qui est substituée par l'objet artistique, tableau ou corpus poétique.

Vous me voyez, donc, réduit à une gesticulation matinale, la bouche pâteuse, tout à l'heure au téléphone et juste maintenant en vous livrant sans élégance et sans rythme les difficultés de mon approche.

En somme, j'avais voulu dire que pour parler poétiquement il faut que ça résonne, il faut quelqu'un qui écoute, et même quelqu'un qui nous accorde un ton, quelqu'un dont on imite la musique personnelle. Parce que la sublimation, l'opération où a lieu l'accomplissement de l'art, ne peut être complètement solitaire. Voyez sinon cette petite correspondance que je suis en train de ruiner ce matin avec une fuite, une fuite pas encore en avant mais en arrière, éludant mon compromis de parler positivement de la muse.

Je viens donc démontrer le contraire de ce que j'aurais pu développer hier, tout fort et tout capable que je me sentais de contourner et d'ouvrir le secret d'un jeu entre le masculin et le féminin dans l'écriture poétique. Je ne peux qu'illustrer l'indigence dont naît la soumission de la muse à son poète. C'est par la faiblesse du poète que la muse s'y consacre. Mais toute cette gesticulation est née de la défaillance de celui qui est tombé dans le piège du fantasme. J'ai commencé à lire d'autres poèmes de vous, et mon impulsion archaïque est de couvrir de ma voix leur musique, que je perçois avec inquiétude comme une dangereuse sirène d'un continent nouveau. En dernier ressort je me sentais poussé à dire "qui était la muse" entre des femmes inter-combattantes, dans le drame de la jalousie, dans une sorte de Jugement de Paris.

Donc affolé comme un berger qui viendrait d'être soumis à l'interrogation d'une triple déesse, le berger Paris par le hasard du qui a lieu le drame d'une guerre de Troie. Quand la muse dévient déesse, quand l'aimée devient mère, quand la fiancée devient bonne, c'est la guerre, c'est le monde masculin, et ce sont des choses dont j'aurais voulu ne pas vous parler, et que j'aurais eu la force de contourner et de dissoudre hier, mais pas ce matin.

Revenons à la réalité du peintre. Vous avez posé pour moi, ainsi que pour notre amie commune Patience Tison. Donc, si on suspend notre affaire de muses, vous avez l'expérience positive d'être modèle. Il ne vous est pas complètement étranger le côté réel d'une part de jouissance partagée entre l'individu artiste et sa modèle; chacun tire quelque chose, par l'entremise du tableau, on connaît le moment de bonheur dont on parlait jadis en disant "me voilà immortalisée par tel ou tel peintre", tout comme le tyran même voulait sa part de portrait et réclamait une parure pour paraître, la modèle peut être exigeante. Peintre et modèle sollicitent le tableau, tous deux veulent voir.

C'est peut-être la compétition entre deux savoirs féminins, dont le créateur peut se servir, Peinture et Poésie, l'une comme l'autre selon Horace mais aussi l'une ou l'autre dans ma tête, comme dans Le rêve de Lucien de Samosate, deux femmes archétypales qui sollicitent en même temps l'artiste, et dont on est forcé d'en exclure une. Par ma maladresse avec laquelle je ruine ce matin notre correspondance, implicitement, j'expédie et j'annule le jeu de séduction dans la parole que sont vos délicieux poèmes d'hier soir. Je renonce à leur beauté, je reste auprès de ma peinture. Ici sur le mur où j'écris, un des rares tableaux que j'ai oublié de signer et de dater et qui appartient à Eve : La veste rose. Ce tableau me rappelle un rapport heureux à ma muse.

La veste rose, huile sur toile, 2004



Mon dernier souvenir de l'écriture est un peu que le poète, dans sa vie courante à l'égard des femmes, est comme entouré de personnifications. Appelons comme ça les muses, puisqu'à l'origine elles étaient ceci. La Comédie ou la Tragédie, la Peinture ou la Poésie, autant de femmes, autant de bergères montagnardes du Parnasse consacré au Soleil.

*

Une bonne question à se poser, prenant pour point de départ ou pour port d'arrivée le surréalisme, est si l'écriture automatique relève d'une inspiration. Parce que c'est partant du modèle onirique que nous pouvons situer chacun son approche. Soit on assimile l'inspiration à la sonorité aveugle sous-jacente à l'automatisme et l'on a, comme ça, une légitimité pour tous les extrêmes du baroque. Soit l'on considère que l'inspiration consiste dans le contraire de l'automatisme, c'est à dire une plénitude du langage dans ce qu'il a de communication, même avec l'entremise des ombres projetées. Ces ombres viennent dans le plein langage souligner le volume et les lignes de fuite; la différence avec langage courant étant la qualité d'image du poème et le mode de communiquer propre à l'image, mais dans le respect de la raison, que Breton voulait ardente, de celui qui écoute.

Dans le deuxième cas, la muse est là pour garantir le sens final du poème. Elle nous rend bavard, mais nous dit de nous taire à propos de ceci ou de cela, nous signale le début et la fin, nous accompagne. Elle nous autorise d'obscurité et nous permets quelques libertés, quelques soulagements propres à la mise en parole et à la musique.

Je viens de recevoir un courrier où vous me dites que vous êtes inquiète de mon silence. Il y a pas raison de se torturer, j'ai passé la nuit à écrire un commentaire de vos poèmes, mais j'ai attendu pour l'envoyer, et pour du bien, puisque c'était une rêverie sans queue ni tête, qui compliquait trop le dialogue qu'on a entamé. J'ai rédigé, donc, cet autre commentaire et, bien que je ne cite pas vos vers, je les avais bien en tête. Je pense qu'il est plus sobre et lucide comme réponse. Je le poste, vous encourageant à ne pas vous abandonner au malaise et à faire comme d'habitude, puisque vous écrivez des poèmes très exigeants et très imaginatifs, qui nous lavent de la froideur poétique qu'on voit souvent à l'oeuvre chez les prétentieux snobs. Vous n'avez rien à leur envier, vos doutes valent beaucoup plus que leur délire de supériorité.

Manuel Montero

dimanche 1 mai 2011

Lift darkness by colors that vanish






...

If I am a bird of lust and wisdom, same way

the noirceur of a sharp crow

than the circus look of parrots

because I do not know the use of mankind in detail

and my house is a cloud as myth take the phone to say

this song the slave and the aged whore fail

to execrate as an everyday disease of ear

them used to mankind song do not bear


the circus lock is a secret parrot spoke

the stranger bird came with few words

whispers and a cough of suspicion

let in me tonight be the twilight crow and give me raw

your oh of womanly respect for the black feather of night vision

give me raw flesh of your every day unjewelled ear

give me raw kisses on my strange parts made of air

because I am a male fair emprisoned in outer space of nature

I belong to the merchant, mainly to his wife and mother

used to funeral songs and feeding of me nervous

your house is called memory, hebrew letters and gifts I left

the door was open and the bird had too much spoken

uncontrolled cloaca explained love by shitting in the chair

and back a broad sickness left by fair on a red stair

by vomishing liquid and seed about solutions you need

crow's hand took yours as the phantom of a birth and a lick in your skin

mascara of a ceremony to erect your chin until you would sing or cry

insipid nabel oh how me crow I can about shiver

trembling certitude of hard syllabation on my heat

handing in strength the length of a sofa rapture

between you and your man my name confound

as I am the sound of tortured troubled cloud I rain a loud

repetition of time in signs and castles in Spain

...

Mort à Venise - bande annonce [1971]

La baigneuse



La baigneuse

nouvelle-tragédie

mise en style par

Marie-Agnès Michel
et
Manuel Montero




1

J'avais pensé que les premiers mots de cette histoire pourraient être l'eau, la noirceur de l'eau, mes jambes qui désespèrent : l'océan. J'avalais l'eau et je criais. Spasmes.
J'avais pensé tenter d'expliquer pourquoi un nageur est venu me sauver, pourquoi même dans la dérision l'illusion amoureuse nous tient.
Dérision. Il n'était pas si mal, physiquement. Lorsqu'il m'a ramenée sur la plage nous sommes restés allongés l'un près de l'autre. J'étais consciente. Il m'a proposé un bouche à bouche.
« Sais-tu le faire ? » lui ai-je répondu.
Décontenancé par mon tutoiement il a avoué n'avoir aucune notion de secourisme.
« Alors pourquoi me sortir de l'eau ? » ai-je demandé.
Il a souri : « Par humanité. N'est-on pas tenu de s'aider les uns les autres ? »
Nous étions seuls dans cette crique, du moins seuls au sens de l'indifférence, les quelques personnes qui prenaient le soleil ne s'étaient aperçus de rien. Leurs beaux corps, féminins, masculins, semblaient nous inviter à agir de même, abandonnés, les yeux clos, absents. J'étais en topless, comme toutes, mes fringues et ma carte bleue se trouvaient dans un sac que je l'ai prié de me ramener. Un sac de plage trop grand pour être vulgaire en dépit des rayures grises et roses pastels à la mode cette année là.
Je demeurai allongée tandis qu'il me le ramenait. Une chose qui n'a pas été dite sur le corps masculin est sa souplesse, alors qu'on parle tant des phéromones, sans beauté je ne l'aurais pas laissé me toucher comme il m'a touchée sur la joue en déposant le sac à côté de ma tête, et sans beauté je soupçonne qu'il n'aurait pas pris la peine de me sortir de l'eau.
Peut-être aurait-il préféré dès ce moment me caresser les seins, mais j'extrapole sans doute car il ne s'était jeté à l'eau que sur une impulsion, et cela tient à très peu s'il ne laissa pas tomber ensuite. Je repliai une jambe afin de mieux lui montrer mon corps et qu'il se sente autorisé au silence de la séduction.
Nous restâmes donc silencieux.
C'était tellement ennuyeux que ç'aurait été préférable que nous nous soyons mis à parler sans retenue de ces choses dont nous aurions pu parler le jour d'avant chacun de notre côté, de ces choses dont on parle dans l'île.
Mais de quoi parle-t-on dans l'île ? Nous n'en avions qu'une vague idée étant pareillement solitaires. Je me lançai avec la première chose qui me passa par la tête : « Après un tel épisode on devrait probablement réciter un mantra.
J'en ai un pour vous, rétorqua-t-il.
Tutoie-moi, s'il te plait, répondis-je. »
Échoués sur le sable, nous étions deux adultes redevenus adolescents de par leurs échecs dans la vie ordinaire.

J'avais pensé que les premiers mots de cette histoire la résumeraient toute entière, et qu'en somme en les écrivant j'aurais tout écrit. Il dort. Nous n'avons pas fait l'amour. Je suis chez lui et il commence à faire nuit. J'écris sur un carnet noir, en tout petit pour économiser les pages, cette histoire qui ne tiendra pas en quelques lignes. Nous sommes le premier jour. Il m'a sauvée à 15 heures, il est à présent vingt et une heures.
Je ne suis pas surprise de me retrouver là. Les coïncidences ont la couleur de l'eau d'où il m'a sortie. Des êtres profondément grégaires c'est ça, les solitaires. Il n'existe pas d'autre rencontre vraie.

Tout à l'heure, tandis que nous faisions trois courses au supermarché pour grignoter un dîner, nous n'arrêtions pas de parler. La conversation tournait autour de livres que nous n'avions lu ni l'un ni l'autre mais sur lesquels nous avions déjà la même opinion. La profondeur de nos réflexions s'accompagnait d'une euphorie légère qui nous rendait semblables au reste des humains ; les gens autour semblaient se reconnaître dans notre volubilité.
N'ayant à aucun moment fait de présentation nous nous étions baptisés l'un l'autre : « Tu t'appelles Guido », lui avais-je lancé telle une voyante. Parcouru d'une ondulation féline, il me couva d'un regard fasciné et joyeux : « Comment peux-tu être si juste ? » avant d'improviser à son tour pour moi un pseudo sensuel « Dalilah ».
Pendant que nous grignotions notre dîner de pain tartiné de pâte à tartiner Indienne et de fruits arrosé d'un bon Bordeaux, il m'avoua: « Je suis le contraire d'un surhomme Nietzschéen. J'attends ma revanche. Je suis cruel, mais pas avec les femmes. » Je me demandais : « C'est peut-être ça, l’Oedipe ? »
J'émis un petit commentaire du genre « Oh ? » et il poursuivit : « Te trouver est ma revanche, c'est quelque chose que mon père n'aurait pas réussi !
Est-il mort ? »
Pas de réponse. Je sentais sur moi son regard qui m'enivrait plus que le vin, comme si Guido pouvait m'instiller son poison, sa solitude, tel un infime et incroyable atome de mercure me transperçant. C'est sa façon d'être Quelqu'un. Je ne pouvais que tomber amoureux devant sa prose poétique (si, c'est vieillot, mais c'est ma façon de parler). Ce que je trouve extraordinaire chez lui c'est de me sentir poussée "personnellement" à l'émulation. Son indépendance est contagieuse, « Guido... » murmurai-je tandis qu'il me racontait son vide intérieur, sa rage contre le manque d'imagination, ses projets invraisemblables.
« Je voudrais, m'a-t-il dit dès ce premier soir, qu'après ma mort on tourne un film sur nous.
Alors, ai-je murmuré en me penchant vers lui, ne soyons jamais... Saugrenus.
Et pourquoi pas, rit-il en attrapant par jeu mon collier, le sexe n'est-il pas, pour la plupart des gens, saugrenu ? »

Le sexe... mais nous n'avons pas fait l'amour. Il s'est endormi soudain, mi-allongé mi-assis sur le canapé. Nous devrions coucher ensemble et nous vouvoyer pendant ce temps. J'ai presque envie de le réveiller tout de suite pour le lui dire... et pour le mettre en pratique.
Guido! Guido ! Vouvoie-moi.
Je ne le réveille pas. Je noircis les pages de ce carnet tout en le surveillant du coin de l’œil.
Je tiens comme une fanatique à mes mots. Je veux écrire amour et c'est fait, ici et maintenant.
Tout à l'heure je le réveillerai. Mon corps sera pour lui un luxe et son sexe pour moi un diamant, écris-je tandis que la nuit est maintenant complètement tombée.
Et demain j'irai là où je vis sur cette île où j'ai réussi jusqu'à présent à passer inconnue, seule en attendant que mon fils et mon mari viennent m'y rejoindre, longeant les autres sans participer, chercher ce minimum sans quoi quelles que soient les coïncidences on est par trop démuni. Linge et objets intimes ponctuant l'irréalité du présent mais cependant familiers.
Mais d'abord, tout à l'heure, dans cet entre-deux qui tient dans un sac de plage trop grand pour être vulgaire, je rangerai ce carnet dans la poche intérieure et je le réveillerai.

Guido ! Guido qui m'appelle Dalilah.
Tout à l'heure il me vouvoiera et j'oublierai le tu que j'exigeais.
Nous sommes simultanés, puis-je affirmer au terme de cette première journée. Nous le serons dans le sexe pareillement. Des vases communicants, vases de la plus fine porcelaine.

Je l'ai rejoint sur le canapé et me suis endormie. L'aube se levait à peine lorsque nous nous sommes réveillés ensemble, nous contemplant comme nous n'avions jamais contemplé personne. Si je reviens à ce cahier, au terme de cette seconde journée, le laissant reparti vers ses rêves, de nouveau seule, c'est encore pour parler de lui.
« L'on explique par le philtre magique la tragédie de Tristan et Isolde, je pense que notre amour sera expliqué pareillement sous des termes de chimie illégale, mais quelle injustice de réduire à des molécules quelque chose qui relève de la sécrète tradition du chamanisme qui traverse les âges malgré les différentes formes d'Inquisition qu'on a connu et qu'on connaîtra, foutre de Dieu » tels furent ses mots d'illuminé pendant que nous prenions un singulier petit déjeuner, une infusion à base de plantes qu'il avait cueillies selon les indications de textes plutôt ésotériques.
Je pense que Guido ne se distingue pas par sa précaution, et peut-être même méconnait-il les propres buts de ses actions. Mais je me sentais malgré tout en confiance et j'ai avalé la potion avec même un espèce de gourmandise. Cependant, dès que je voulus parler, je commençai à sentir les mêmes spasmes que la veille, alors que je me noyais dans l'océan, ou comme quelqu'un qui a avalé de travers.
J'avais du mal à dissimuler mon malaise, cependant Guido, inconscient du problème, inventait des mélodies en sifflotant, sur le matelas. Je savais que j'avais quelque chose d'important à lui dire, mais ce quelque chose je l'avalai comme je venais d'avaler l'infusion. De travers.

Plus tard nous avons pris des serviettes et regagné à pied la crique où il m'avait sauvée. Nous nous sommes baignés lentement, sans nous éloigner du bord, à brasses langoureuses, avant de revenir nous allonger bras ballants au soleil.
J'aurais dû fournir un travail de professionnelle pour faire l'amour, d'autant que nous étions corps à corps sur le sable et qu'une dune nous cachait du reste de l'île, complice peut-être de toute promiscuité. J'abandonnai mollement la prétention et je n'ai tenu qu'à mon propre plaisir superficiel, à la dérobée. Il a soulevé la tête, pensant que je n'écoutais pas ce qu'il exposait dans un discours décousu. Il s'est trouvé devant ma bouche, vite fait je lui ai volé un baiser.
Ensuite nous avons fait un château de sable. En fait le corps d'un Adam imposant. Nous l'avons pris en photo. Nous étions contents de notre création : elle n'était plus le fruit d'un ego mais celui d'un nous. Double dose de narcissisme, mais qu'y a-t-il de mieux ? Deux nombrils qui se collent des caresses, se réfugient l'un l'autre, revenus chacun à sa propre gestation.
Nous nous sommes assis pour regarder passer la journée devant notre Adam que la marée fatalement viendrait dissoudre puis ensevelir tels les restes d'un papa rêveur qui aurait été notre père à tous deux. J'avais un vague repentir d'avoir rajouté une des bananes achetées la veille au supermarché à l'endroit sensible du bienveillant colosse. Repentir qui s'accompagnait d'un de ces sourires intérieurs comme en ont les enfants qui ont « fait une bêtise » pour laquelle ils ne seront pas punis.
« Une journée d'un amoureux vaut plusieurs siècles, d'où la longévité d'Adam et de Mathusalem », m'a dit Guido.


« Alors nous sommes en train de tourner un film soviétique ? » « Pourquoi ? » « Puisqu'il durera plus de trois heures », l'ai-je titillé, et il m'a sorti qu'il était profondément Rouge. Faisait-il allusion au régime communiste ou à la couleur ? Qu'importe, je l'écoutai s'emballer, expliquer qu'il comptait les secondes avec le cœur. Puis crier presque : « Rouge pourpre ? Rouge cinabre ? Rouge de Venise ? Du sang ! Du vin ! Du sable biblique, ma chérie... »
J'avais oublié que la référence à Adam il en avait été l'initiateur, pendant que je prenais la photo je me l'étais appropriée.
Soudain il se tut et se mit à caresser ma nuque. Je m'autorisai à noter, les yeux mi-clos, mes propres sensations sans lui rendre ses caresses. Que d'émotions ! Qu'allais-je faire des émotions ? Elles nous mèneraient quelque part, mais où ? à cela tenait l'illusion.

Nous n'avons pas attendu le coucher de soleil. Nous étions chauds, nous sommes rentrés. Il était trop tard, ou j'avais la paresse, pour aller chercher de quoi me changer (mes vêtements étaient poisseux de sel) et il m'ouvrit la garde-robe de sa femme, qui de même que mon mari devait le rejoindre ultérieurement.
Nous avons encore reporté le moment de faire l'amour. Il m'a embrassée sur la bouche, dans un baiser jumeau de celui que je lui avais volé sur la plage mais plus fougueux, on aurait dit qu'il voulait s'assurer que le premier avait été bien réel...
J'émis le désir de prendre une douche avant de me changer – j'avais trouvé une robe à ma taille et à mon goût dans le placard. Nous sommes entrés ensemble dans la salle de bains, j'étais nue, m'étant débarrassée de mes vêtements collants dans la chambre. Ressentant le besoin d'uriner je me suis assise sur les w-c. Pris d'une soudaine euphorie Guido s'est approché pour me caresser les cuisses, les fesses, le ventre, tandis que le flux jaillissait dru. Il avait la tentation manifeste d'introduire les mains sous le jet mais s'abstint, peut-être par crainte de ma réaction.
Pourtant j'étais partante. Légèrement absent-minded par ce qui venait de se produire je voulus lui céder la place pour qu'il pisse à son tour, prête à caresser ses fesses comme il l'avait fait et, qui sait ? m'emparer de son sexe.
« Je t'explique, Dalilah, s'esclaffa-t-il, en fait je préfère pisser dans la baignoire... Tu viens ? »
Ce n'est pas par répulsion que je refusai... non, plutôt choquée par la surprise. Il allait trop vite pour moi, d'un coup. « Procédez donc seul à vos curieuses activités monsignor Guido », commentai-je, amusée, en sortant.
« Nothing compares to you ! » Me cria-t-il avec une légère inflexion mielleuse depuis la baignoire où sifflait l'urine contre la porcelaine. Je caressai ma nudité devant le miroir du placard. Nous étions déjà un couple.
Mais quid des « légitimes » ?
Je me demandai comment il réagirait à mon fils, s'il l'aimerait et le respecterait, sans parler de comment prendraient notre union mon mari et sa femme !
Pour mieux y réfléchir je m'allongeai sur le lit, toujours nue. Nous ne pouvions renoncer à eux pour ces multiples raisons qui font qu'on reste ensemble, toutes des forces majeures. Je me laissai aller à une méditation sur comment réunir tous ces êtres, dont celui qui ne m'était pas le moins cher ni moins nécessaire alors que je ne l'avais rencontré que la veille !
Je fantasmais sur un seul appartement commun, dans l'idéal un hôtel particulier, pourquoi pas ? Les fantasmes sont faits pour combler les trous de l'impossible au quotidien. Trouve-t-on des hôtels
particuliers à loyer modéré ?
Je m'abandonnai à l'idée que sa femme puisse avoir un penchant pour moi et qu'elle m'introduise aux délices de Sapho dont je n'avais, adolescente, que survolé le territoire amoureux avec une fille qui ne me plaisait pas mais s'avérait très entreprenante, un été, en colonie de vacances. Ou peut-être les découvririons-nous ensemble elle et moi, en novices excitées.
À cet instant de mes rêveries Guido me rejoignit dans la chambre. Prenant mes pieds entre ses mains il les massa avec ses pouces, je portai machinalement une main à ma touffe et soulevai les pieds haut afin qu'il la voit mieux. Des flots de jouissance montaient d'eux. Tant pis pour sa femme, mon mari, tant pis pour les légitimes, le fantasme faisait place à la réalité (même si mon mari, j'en étais sûre à cause de moult discussions que nous avions eues sur les couples 'échangistes' aurait été heureux de faire orgasmer sa femme droit dans le vagin)...

Une fois habillés, car nous finîmes tout de même par nous habiller, nous sortîmes manger des crêpes debout devant la baraque, en grande tenue. La robe que j'avais choisie était en effet une robe de soirée, quant à lui il portait un pantalon de lin cru et une chemise de coton léger, ainsi qu'une cravate très austère.
« C'est la première fois de ma vie que je porte une cravate, m'avoua-t-il, je l'ai amenée pour le cas où je pourrais me trouver, par coïncidence, à table avec une des célébrités qui possèdent un chalet sur l'île. »
Il avait l'air transcendantal en disant cela.
Une première crêpe ne nous ayant pas calés nous décidâmes d'en commander une deuxième et celle-ci de la manger assis à la terrasse.
J'éprouvais le besoin de me montrer passionnée auprès de lui, aussi fis-je un caprice et demandai à boire de la vodka avec nos crêpes. Au bout de quelques verres je commençai à ressembler à Isabelle Huppert dans un rôle d'hystérique, et hurlai des obscénités et des critiques aux bobos plus âgés de l'île, qui finirent par quitter la terrasse, outrés par les détails sociologiques chantés à chaque tournure de leur dîner, chassés par mon fou rire.
Lorsque nous fûmes seuls je me retournai vers Guido, qui avait fait durer sa crêpe une heure afin de profiter au mieux du spectacle de mon ivresse. Avec un grand sourire je lui tendis les bras. Je me trouvais tellement amusante et fine dans mes retranchements évanescents que je me prenais véritablement pour une actrice célèbre. Alors que j'allais l'embrasser il m'a tendu devant la bouche le reste de ma crêpe, que j'avalai tout rond ce qui me sauva à nouveau la vie. En effet ce morceau de crêpe à la vanille (la fameuse vanille chérie de Guido) eut pour conséquence de me faire vomir immédiatement l'excédent d'alcool.
Nous étions bizarrement soudés. Je connaissais bien, me retrouvant en cela, les névrosés comme lui : une femme ivre les met en panique. Mais lui me prit la main, sur l'herbe jaune du pré derrière la baraque à crêpes, et, pendant que je vomissais, la couvrit de baisers. D'abord la main, puis le bras et l'aisselle. Aux chatouilles de sa bouche sur mon aisselle je vomis de plus belle.
Décidément la clé de la transe dans l'ivresse est le désir. Tel un bombardement aux tempes me revient l'intonation de camaraderie qu'eut la femme des crêpes pour me dire : « Quel parfum désirez vous, madame ? » Enfin on se pose des questions sur le désir, et tout déboule avec.
À notre retour, dessaoulée par l'air et la marche, j'ai masturbé Guido, qui n'était point surpris ni en désaccord, pour ne pas avoir à faire l'amour. Mon désir était pourtant de faire l'amour ? Oui, mais
ce désir me gênait, imposé, trop vu.
J'ai donc branlé Guido, et l'ai sucé vers la fin mais, me défiant de l'ingestion comme d'un vomitif supplémentaire et superflu, j'ai retiré son sexe de ma bouche juste avant qu'il ne jouisse et étalé son sperme sur ma poitrine, puis je lui ai mouillé la pointe du nez avec, gémissante, mimant le plaisir avec une théâtralité dont la fausseté constituait un plaisir en soi.
Comme hier j'ai attendu qu'il s'endorme, là-haut, dans la chambre, pour exhumer ce carnet de la poche de devant du sac de plage et écrire.

J'ai comme une danse de Saint-Guy à une jambe. Je trépigne nerveusement, par acte réflexe, comme une machine à coudre, tout le temps que je passe à écrire. On le prendrait pour un symptôme, quelque chose du domaine du trouble obsessionnel ou de l'hyperkinésie... c'est plus simple que ça, j'ai entendu hier soir une musique dont mon tic fait la base rythmique, quand les jeunes voisins de Guido faisaient la fête. J'en ai même retenu le refrain : doudous sauvages, câlins sur la plage, et je m'aperçois que ma jambe est tout le temps d'écriture en train de se balancer, entraînant tout mon corps dans ce balancement, sur ce refrain, rythmé. Doudous sauvages, câlins sur la plage. C'est une vieille technique, chez moi instinctive, de transe, comme peuvent l'être les danses des derviches ou les tambours et harpes au Nord comme au Sud du Sahara. Je me mets en transe par mon symptôme. Je le laisse m'envahir, j'appelle l'Esprit, mon moi profond, rôdant toujours, méprisé en même temps que redouté...
Mais soudain la présence physique de Guido me manque au point de suffoquer et j'éprouve le besoin irrépressible d'aller me lover contre lui. Je pose ce carnet : au-revoir-à-tout-à-l'heure lecteur.















2

Après qu'elle eut posé son carnet, cette deuxième nuit, Dalilah rejoignit Guido dans la chambre et s'allongea contre lui. Il se réveilla à demi tandis qu'elle s'endormait à demi, et ils restèrent allongés ainsi entre veille et sommeil jusqu'au moment où le sommeil allait l'emporter, lorsque les jeunes voisins musiciens se mirent à nouveau à jouer très fort, les éveillant complètement.
Ils discutèrent sans affectation ni effets, comme on discute de choses ordinaires, du Cantique des Cantiques et de Don Quichotte, de Don Juan, de Casanova, et même de Jean de la Croix. Cependant, à force d'entendre à travers les murs trop minces les blagues que les jeunes d'à côté visiblement en chaleur, garçons et filles de vingt ans, plutôt des jeunes beatniks selon Guido, se lançaient entre chansons et feintes bagarres ils commencèrent à se sentir excités et leur conversation savante devint plus langoureuse jusqu'à s'éteindre tandis que leurs langues se mêlaient.
Pour la première fois ils firent l'amour.
Il faut un grand art pour écrire plus d'un paragraphe sur la simplicité et l'intensité du coït. Une longue explication de plus d'une page vaut son pesant d'or. Son pesant d'images.
Au bout de cette grande œuvre, pour laquelle elle évitera les phrases courtes à la Sollers – l'on ne parle bien de la simplicité qu'avec majesté – celle que Dalilah écrira le jour suivant, nous, ses lecteurs, apprendrons qu'après avoir accompli l'acte de chair dans une osmose parfaite avec Guido, ce névrosé en qui elle se reconnaissait, ce littérateur comme elle, elle sortit, nue dans un peignoir pris à la salle de bains et enfilé à la va-vite, la ceinture lâche et les pans ouverts, pour rejoindre les jeunes beatniks bruyants.
L'excès de bonheur qui avait replongé son amant dans le sommeil la mettait elle dans un état d'excitation rendant logique un comportement aussi extraordinaire.
Elle ne rejoignit pas les jeunes gens les mains vides. Tout en enfilant le peignoir elle avait raflé dans les placards de la salle de bains des comprimés pris à plusieurs des flacons de neuroleptiques absorbés quotidiennement (mais sur ordonnance) par Guido en guise de monnaie d'échange contre son intrusion.

Les jeunes gens la laissèrent entrer avec amusement et curiosité, échauffés dès l'abord par sa tenue et ses impertinences (qu'elle mettrait ensuite sur le compte de cette infusion de plantes cueillies des mains de Guido et aux conséquences inconnues). Les filles laissèrent les garçons seuls avec elle.
Dalilah s'adonna alors à tous les jeux auxquels son imagination décuplée par leur fougue la conduisit. Elle s'amusa beaucoup avec ces jeunes de différentes nationalités, barbus, offensifs et orgueilleux qui tout en s'excitant avec elle voulaient savoir si elle aimait leur musique. Ils la caressaient énergiquement, heureux comme s'ils avaient conquis le monde pour leur cause, et la pénétrèrent alternativement, hilares mais respectueux au point d'ennuyer plaisamment Dalilah.
Ayant joui à répétition elle déboula dans la chambre où s'étaient écroulées les filles afin de se faire bercer et consoler du trop-plein de bonheur qui l'occupait jusqu'à être insupportable.

À l'aube elle alla sur la plage regarder le soleil se lever. Prise d'une lubie elle chercha dans les poubelles de quoi nourrir les mouettes, qui venaient faisant de tours de manège comme des petites voitures de foire, une fois posées, dérober ce qui était plutôt offert. La pauvre Dalilah les appelait à
peine d'un murmure déplacé, n'osant plus hausser la voix. C'était là l'occupation dans laquelle elle était plongée quand Guido la trouva.
Pris de désir à ce spectacle inusité, il l'entraîna vers « leur » crique où malgré la présence d'un homme pêchant à la canne ils refirent l'amour sur le sable.
Dalilah nota que pour lui c'était la deuxième fois en quelques heures, tandis que pour elle c'était la septième. Elle le lui expliqua, lui racontant, larmoyante et la chair de poule au frais du matin nu, d'abord le brave rouquin des percussions la tripotant jusqu'à entrer totalement dans sa chair, puis les gentils franco-français à inspiration celtique qui la prirent à deux et tout ce à quoi elle s'était livrée alors que lui dormait, sans pour autant empêcher le jeu érotique et la pénétration à l'entreprenant Guido, qui s'éveillait au corps de Dalilah.
Lui vit sa jouissance décuplée par ces révélations, car il aimait la puissance de La femme, celle qui fait passer le Chi chez l'homme.
Cependant que les spasmes de l'orgasme le secouaient, son esprit à elle divaguait vers son carnet de moleskine noir, dedans lequel elle consignerait les faits en train de se dérouler. Leurs discussions, et leurs digressions pour ne pas se dire quel était leur métier précis à chacun, comme si la littérature elle-même ne suffisait pas, n'était pas un métier.
Les images de fantasmes défilaient à la rapidité de l'éclair dans son esprit comme séparé de son corps. Elle improvisait qu'elle était fascinée par les bas fonds, ou qu'elle avait été serveuse et strip-teaseuse à Pigalle, et même qu'elle connaissait le « dark side » de Milan, ayant pris l'exil volontaire en Italie à l'arrivée de Sarkozy à la présidence.
Ses quelques véritables exploits échappaient à une normalité avouable, bien pires que ses fantasmes. D'où les digressions durant leurs discussions, la littérature non suffisante « en soi » d'une part, les à-côtés de sa vie avant son mariage de l'autre.
Lui, elles lui servaient en revanche à cacher ses années de maladie en affirmant comme si de rien n'était les plus communes et honorables des occupations... facteur, professeur d'espagnol, gigolo téléphonique et astrologue.
Il connaissait un homme qui prenait des squelettes des ossuaires des petits villages et décorait sa maison comme ça. Il recevait Guido lui faisant croquer du sucre en morceaux. Il était créateur de dessins animés et Guido avait vainement essayé de sympathiser avec lui en parlant de peinture. Ce qui intéressait son ami nécrophile était de faire une adaptation animalière en trois dimensions des romans autobiographiques de Guido. Bref, là non plus rien à voir avec une réalité avouable...

Il n'y a pas de métier avant l'écriture, songeait Dalilah tandis qu'il roulait sur le flanc près d'elle, pour exprimer comment définir la qualité d'absolu indéfini de leur métier de littérateurs à elle et lui.
C'est alors qu'il lui annonça : « Demain c'est fini, ma femme arrive, mais profitons de ce jour et de cette nuit. Tu sais ce qui me ferait plaisir ? Façonner un nouvel Adam à l'endroit même où le premier a été emporté par la marée. »
Toujours sur l'emprise de cet état qu'elle imputerait à la tisane, et avec cette légère ivresse que donne le manque de sommeil (sans parler une nuit d'amour multiples) Dalilah se redressa aussitôt et courut, vêtue uniquement de son bas de maillot de bains et tenant la carte bleue de Guido à la main vers le supermarché. Car s'il voulait refaire un Adam elle voulait elle replacer une banane au même endroit.

Le supermarché ouvrait à peine. Deux jeunes gendarmes garés devant l'interpellèrent au moment
où elle allait s'y engouffrer à cause de sa tenue. Ils eurent une conversation plutôt courtoise, où la violence de la menace rendait encore plus exquis et doux le recours à la rhétorique et aux formules longues, ces formules qui permettent l'échange de regards de joueurs de cartes compulsifs.
Au terme de la discussion elle échappa à l'amende et, même, l'un des deux gendarmes alla lui acheter ces bananes dont il n'avait aucune idée d'à quoi elles pourraient bien servir mais qui lui semblait en somme un caprice très raisonnable pour une si jolie femme. Et en tant que gendarmes sur l'île ils en avaient vu défiler des jolies femmes excentriques, autant dire que malgré leur jeunesse ils étaient rodés !
Lorsqu'elle revint à la crique, Guido avait renfilé son blue-jean et son tee-shirt blanc. Adam avait été cette fois modelé les bras en croix. Dalilah lui planta une banane toute droite à l'emplacement du sexe et, l'ouvrant, la mangea à genoux lentement.

Pendant qu'elle mangeait la banane à l'endroit précis de l'Adam de sable, ou le Christ de soluble poussière, lui voyait dans la mer les panaches de Penthésilée et ses amazones à cheval, il voyait courir la voix de la beauté de l'homme entre les homériques féministes et le délire d'Achille pris en otage par ces femmes fatales.

Ils regardent ensemble les jeunes partir dans le bateau, ils ne restent plus sur l'île, dissimulant avec des mesurées bravoures la honte, les garçons, hésitantes de montrer de la compassion ou de la pure sympathie, les filles, sauf celle qui a embrassée Dalilah, qui lui cligne l'oeil.

Ils coururent jusqu'à la maison. Là elle mit un comble à l'excitation de Guido en pissant sur lui, sur son visage, dans la baignoire. « Aucun objet de consommation », dit-il en jouissant à peine la pénétra-t-il.













3

Poèmes écrits par Dalilah et Guido lorsqu'après leur second petit déjeuner ensemble composé une fois de plus de cette étrange tisane pseudo biblique, ils écrivirent tour à tour dans son carnet :


(a)

Je suis Empédocle et le volcan

de la mort sera pour moi tel le bordel

pour l'ambitieux, facilité et conspiration, passage du feu

(b)

Tristan et Iseut

Quand le triangle pointe

vers le Ciel,

comme un feu sur la plage,

les deux parties qui sont par terre,

qu'est-ce qu'elles font ?

Quand notre père nous

laisse tout seuls à l'aube,

l'heure des requins et du regret,

le soleil dans sa chevauchée

nous semble insupportable comme

un cercle d'or et de vice

qui ne peut se substituer

à la noire sagesse du ciel,

du vieux ciel nocturne et royal.

Les braises, leur toux, leur tristesse, pointent

un triangle secret sous nos pieds


(c)


Je suis Justine, cher prisonnier

celle qui souffrait comme toi le supplice arbitraire

mais toi tu écris et moi je reçois les chiffres de gifles

le robinet des siècles qui goutte du sang la nuit à l'enfer du réel









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4

Voilà comment on devient Nietzschéen : quand la femme de Guido arrive, il nous est dit qu'elle est d'origine africaine, occupée avec une thèse en Histoire de l'Art sur laquelle versait déjà sa première conversation avec Guido, et que Guido voit sa femme de plus en plus diffuse, et que au contraire de l'amnésie traumatique, il oublie petit à petit tout ce qu'il sait d'elle, toute perception d'elle et de l'enfant qu'ils ont eu. D'ailleurs il ne mentionne ni n'a jamais mentionné d'enfant et la maison de vacances où il vécut son histoire d'amour avec celle qu'il prénomma Dalilah ne contenait rien laissant supposer qu'il existât.
On ne donne pas de prénom à la femme ni à l'enfant. Guido commencera à s'isoler en criant : je deviens aveugle !

Il se lance sur les femmes, les mains en avant, mais au lieu de les tripoter il leur claque deux baisers sur les joues. C'est comme ça qu'il traverse toute l'île. Il reconnaît une plante de ciguë dans la partie sauvage de l'île et se met à manger les feuilles, en improvisant des poésies sur Empédocle, Hölderlin, le Marquis de Sade... pendant qu'il meurt. Puis Dalilah le trouve encore vivant, en fin d'agonie et il lui dicte les poèmes pour qu'elle choisisse un pour épitaphe. Elle lui demande pardon pour l'épisode du mépris dont on n'a pas encore parlé et qui s'est passé la nuit précédant le jour du suicide de Guido.

Le jour après la mort de Guido, Dalilah gagne Paris et trouve une lettre dans son ordinateur l'invitant à parler de son travail dans la littérature sur un plateau de télévision le soir même, elle improvise des réponses devant la glace de son appartement, son mari et son fils sont absents, ils sont en ce moment probablement en train de la chercher sur l'île. En improvisant des réponses sur des questions concernant le style en littérature elle arrive à l'amour. Elle improvise des résumés de l'histoire qu'elle a vécu, tous à l'eau de roses. Ensuite sur le plateau de télévision elle entame un tout autre discours. Elle dit qu'elle a vécu un cauchemar, que sa vie a été ruinée à cause d'un fou suicidaire, que la folie exerce une fascination destructrice, que l'illusion amoureuse est propre des malades et qu'elle l'a été mais que seul l'exercice thérapeutique de l'écriture lui a permis de ne pas basculer comme Guido.

Screamin Jay Hawkins - I put a spell on you



Pour célébrer l'auto-censure (tactique, tactique, mes amis, la stratégie ne change du tout)