mardi 7 juin 2011
Sur Dante (III)
(cliquer ici pour lire la première partie et la deuxième partie de la rédaction - Sur Dante)
Hier soir, sur mon lit de la clinique, ne pouvant dormir, j'ai voulu, après que la lecture du Lost Paradise de Milton s'est averée impraticable, ouvrir au hasard la Commedia, mais tout en faisant une feinte du côté du Paradis. Je suis tombé sur un paragraphe qui semble répondre au geste du blasphème en Enfer. C'était le rire de Béatrice, sur lequel il nous est dit que Dante a dû passer quelques cercles dans son ascension pour être prêt à en être témoin et qu'il hésite à nous le décrire, tout en y faisant allusion, car il trouve que cela échappe au langage. Notons bien que Dante ne nous dit pas cela d'une sainte ou d'un ange sortis du répertoire commun, mais d'une jeune femme qui a marqué sa vie.
D'habitude je m'oriente dans mon volume en vieil italien de la Commedia en feuilletant les aquarelles de William Blake. Mais hier soir, j'ai lu le texte tel qu'il s'est ouvert au hasard. Je crois que Blake n'a pas fait d'illustration particulière pour ce passage (le rire de Béatrice). En peintre grandiose (malgré la petitesse réelle de ses formats) il a peut-être trouvée anecdotique et accessoire pour son oeil cosmologique cette vision personnelle de Dante.
D'après les énoncés de la Somme Théologique que j'ai traduits, l'on peut attirer implicitement l'attention sur ce que tout l'argument de la Comédie tient lieu dans l'avenir ou la "vie future", or nous avons une évocation du rire féminin qu'on a du mal à situer dans un temps quelconque.
(Digression) : Là aussi la contention comporte quelques licences. Ce qui, en fait, nous oriente vers une lecture en termes d'amour courtois, qui nous ferait mettre vis à vis la Comédie et le Roman de la Rose, pour ne citer qu'une oeuvre de grandeur similaire.
En tout cas, pour ce qui est du Paradis en tant que "vie future", c'est l'amour qui rend possible et qui donne lieu au rebond du plus éphémère des bonheurs, le rire qui déchoit le langage, tout en l'orientant et le suscitant dans une parole dite à moitié.
Qui pourrait mieux soulager l'angoisse de Dante devant la mort que la prévision du rire de Béatrice? J'ai perdu la page et n'ai pas pu retomber sur elle, à plus forte raison que, dans l'entreprise de cette lecture sauvage, un certain reste de pudeur me dicte de ne pas faire état de la raison du rire de Béatrice, qui devrait être du genre de la petite bêtise masculine du poète, mais qui peut nous amener loin, en direction de la peur du poids du regard d'autrui, après l'écriture de la Divine Comédie, comme de tout poème, dans la vie qui suit toute l'absence d'une écriture poétique, ou, aussi, d'un acte d'amour. Il n'y a que le recours à un vieux souvenir, transposé, sous le signe du plaisir exquis, sur les domaines de la mort, qui peut traverser l'horreur du réel imminent pesant sur chaque construction de l'esprit.
Toujours à propos du sens ou de la quête de sens que suppose la péripétie de Dante avec Béatrice au Paradis, j'aimerais signaler l'invention de deux verbes dont Dante semble user avec désinvolture et qui peuvent nous conduire à percevoir un manque profond derrière la grandeur de l'attelage d'une oeuvre qui se voudrait totale. Dante dans le neuvième chant du Paradis, fait prophétiser Béatrice sur des querelles entre villes et familles. C'est au Paradis qu'il place la vipère de ses rancunes et il n'hésite pas à faire exprimer les rancunes politiques sous prétexte de prophétie à la "donna angelicata", ici juste une excuse pour poursuivre une sorte de pamphlet total, exhaustif. Et c'est dans cet échange de bile noire et de colère qu'il sent le besoin de mettre théâtralement en déplacement et en fusion les identités, de faire communier les fragments de parole qui peinent à se représenter en acteurs. Pour cela il soumet le langage à une légère torsion, inouïe, pas vulgaire pour deux sous, tel que l'usage de la langue se présente à lui. Il invente "inluia", "intuassi" et "inmii". Se fondre dans Dieu, dans Lui, et se fondre dans Béatrice.
"Dio vede tutto, e tuo veder s'inluia, diss'io, beato spirto, si che nulla voglia di sè a te puot'esser fuia. Dunque la voce tua, che'l ciel trastulla sempre col canto di quei fuochi pii che di sei ali fatt'han la colulla, perchè non satisface à miei dissii ? Già non attendere'io tua dimanda, s'io m'intuassi, come tu t'inmii."
Il n'y a d'autre principe de réalité après cette effusion que le déroulement pour ainsi dire mythologique de la parole (du discours) de Béatrice, qui répond par une digression qui vient juste accomplir la tâche "panoramique" de ce guide de voyage et ce répertoire que reste la Comédie.
(cliquer ici pour lire la quatrième partie de l'essai)
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