mardi 4 janvier 2011

Don Antonio


Réveillon

J'ai dit au revoir au degré zéro de la décennie chez Lasserre, avenue Franklin Roosevelt. Je n'aime pas manger des pigeons (par ailleurs emblématiques du restaurant et exposés vivants dans une élégante volière de velours et fil de fer) mais j'ai choisi d'en manger en mémoire de ce que prenait André Malraux chez Lasserre. Le serveur se souvient de lui comme d'un Monsieur le Ministre, moi j'ai en tête plutôt ses livres d'art bon marché, dont Le Musée Imaginaire, accompagnés de sa belle prose et des photos blanc et noir abondantes et pleine page. Le serveur est parfaitement conscient de ces deux approches différentes de Malraux. Je n'ai jamais trouvé, ni dans le luxe ni dans la misère, de serveur dupe. Je dirais qu'encore il est au fait plus que moi-même de la condition chez Malraux de membre des Brigades Internationales de la République Espagnole pendant la Guerre d'Espagne, et qu'il mesure mon accent dans notre bref dialogue. Ma peinture ne peut exister sans ce mélange de sagesse d'aristocrate et les moyens des hommes d'affaires. Elle n'intéresse pas les musées, occupés avec le discours théorique qui étouffe tout ce qui peut relever de l'art chez un peintre. Elle a besoin de se vendre à l'unité. Pour l'instant, je ne trouve rien de mieux que ça. Seul l'art peut placer l'individu au-dessus de la richesse, que ce soit sa richesse ou celle qui pèse sur lui comme une botte sur un cafard plein de patience. Pourquoi je raconte ça sur le fil d'un blog qui peut être soit malmené, soit disparaître au gré des intérêts statistiques ? Plutôt le capitaliser dans un journal intime ? Pour que ça se dépose, se décante, comme l'anecdote qu'un peintre laisse derrière soi ? Vous savez ce que dit mon fils ? Bon, écoutez, la guerre atomique qui me terrorisait dans mon enfance de garçon précocement politisé, la guerre atomique qui continue à faire partie des cartes du jeu, elle n'est plus rien du tout en égard de ce qui va être inventé. Le laser, imaginez que ça peut vous fendre en deux comme du beurre en été. L'amour fait pareil, vous sentez deux pièces de domino qui partent en claquant, vous sentez une épée de lumière fouiller vos entrailles. Le cerveau désolidarisé de soi-même, vous ne connaissez plus rien, ni l'objet de désir, ni ce que vous faites exactement là. Après tout heureusement que j'ai dansé. Et que j'ai ressenti le flash des corps féminins qui bougent en pure expression au rythme de n'importe quelle musique de danse. Des corps de henné et des corps d'abricot. Ils vous fendent en deux comme un laser, si vous arrivez à tomber, dépassé, sur une chaise.

*

Vieux professeur décédé

famille injoignable au Thanatos

mes amis ses fils et leur fils

non, pas les enfants, disent les femmes

et l'homme reste scindé de l'homme

le père du fils séparation hypostatique

la sorcière est à l'origine vamp

puis celle qui protège pour se nourrir dans l'ombre

l'enfant sera idiot l'homme esclave

voici le royaume païen des femmes

voici ce qui cache la pierre de l'église

maintiens toi à distance, Satan

le coq aura chanté et l'on m'aura tué

n'était ce coq le Paraclet ? celui qui renverse mes paroles

à la fin de la nuit quand je me cherche dans les ruelles

et elle attend ma guitare la chanteuse endormie

en haut de l'escalier

funérailles funérailles toujours

de moins en moins

les gens ne meurent mais disparaissent

seul connaît la grande perte l'idiot

celui qu'on exclut parce qu'il sent le mort

celui qui semble rire de l'absurde

qui pleure sans le savoir.

*

Hop, plus de mains, le laser du désir les a scindés

une coupure propre à l'extrême de mes bras

Hop, plus de tête

et pour elle, là-bas, plus de corps

Hop, plus de pieds, le laser peut tout faire

même pour marcher nous serons incapables

une fois la lumière d'amour a percé en nous

une fois la guerre a utilisé l'arme du désir

le laser saupoudre de champignons atomiques la Terre

juste pour s'amuser lui seul sépare l'inséparable

le mort du vivant, le présent du passé, le henné du fruit

le laser ne se divise en pixel ne meurt au miroir

l'amour mort ne peut mourir

ceci est la connaissance du désir, le laser.

*

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