dimanche 9 janvier 2011

Brouillon littéraire d'une nuit


installation Santa Maria la Perdida
Manuel Montero
(2004-2007)
photo Eve Livet


Brouillon littéraire d'une nuit

Nous avons été au vernissage de Jonathan Meese ce soir chez Templon. Ce serait un peu ridicule, en étant peintre que je fasse démonstration d'une opinion à teneur critique. Je suis toujours enthousiaste de Meese, comme les jeunes minces mais costauds, presque des blousons noirs, que j'ai vu sortir la minute de la cigarette en prononçant presque comme un cri de guerre : "Il est le meilleur". Je suis pris dans le même charme épique, wagnérien, mais visuel, du domaine de la "vision", mais il m'arrive d'entreprendre la peinture comme on prend une femme, avec ma propre pine.

C'est pour cela que je me suis dit d'introduire mon manifeste pour Meese par une citation qui fait figure d'allusion, d'incitation, même de pastiche ou d'amalgame. Et à plus forte raison que ça serait par hasard si les connexions que j'ai établi "prennent".

Voici l'extrait :

Voyons, mohvr en 64, je serais un des éléments à fournir, pour honorer votre sens de la CONSTATATION dans la foulée, et bien derrière ceux qui ont passé à faire partie de UNPLUGGED. Je m'étais proposé d'écrire avec soin ce soir un compte rendu d'une expo chez Templon (l'artiste allemand Jonathan Meese, duquel je me sens secrètement proche, donc profondément engagé dans le regard que je porte sur ses tableaux). Je m'étais proposé de me mettre à peindre des ébauches préparatoires pour une commande. Et me revoilà ici. Mohvr, vous affirmez que "via son blog" Alex rend ou a rendu à un moment donné "les gens dingues". Je pense qu'il y a une synergie entre le genre d'écrivain qu'on reconnaît chez elle et des lieux de la culture comme ce blog, où une interaction, même parfois soumise à modération, est possible. Mais je pense aussi que ce doublon n'est pas banal, je m'y retrouve, je pense qu'une certaine fatalité nous guide toujours vers le plus vicieux des choix. Maintenant ce qu'il faut c'est qu'on soit capable de faire devenir vicieux ce qu'on aime, delectatio morosa, et c'est cela (clin d'oeil a Sunderland) qui demande soit une grâce par voie de contemplation, soit une persévérance de l'étude, de la méditation. Je m'excuse de rendre Alex un préliminaire d'un article sur le jeune art allemand, peut-être aussi là il y a synergie...

Si la constatation de mohvr est rendue possible, c'est parce qu'à un moment de sa carrière (démarche... ce que vous voudrez) Alex a fait de sa vie une oeuvre d'art (sur laquelle on pouvait émettre des jugements favorables ou pas, des appréciations de goût) à travers son blog et surtout en la cristallisant dans un livre. Cela nous ramène à une pratique qui se reproduit tout au long de l'histoire littéraire. L'exemple le plus bête ? Je sais pas, à chacun de faire les rapprochements et d'affiner, j'ai un intérêt plutôt détaché et passif pour cette oeuvre, curieux pour ainsi dire de voir ce qui se passe. Par ailleurs, le passage au deuxième livre introduit une stimulante difficulté d'approche qui ne peut que faire durer cet accompagnement d'objet transitionnel que sont les livres.

Résultat : pour les noms propres nous avons une séquence Jonathan Meese, Templon (qui est aussi un lieu), Manuel Montero (je parle de moi-même), mohvr (un intrigant masqué qui n'est ici qu'un exutoire) UNPLUGGED (nom propre d'un livre d'autofiction) Alex (l'auteur, une jeune femme qui est en activité sur le net) Sunderland (pseudonyme d'un écrivain marginal à double tranchant : provocateur et catholique affiché).

Deuxièmement, nous nous trouvons avec des constatations équivalentes : certains artistes "rendent les gens dingues". Cela est vieux comme le monde. Puis, comment écrire et quoi écrire sous l'influence de nos contemporains. Par chance, Paris offre la possibilité de l'émulation, par rapport à d'autres lieux. Meese était bien présent ce soir, de bonne humeur, il a eu un geste pour chacun (pour moi, si je ne me trompe, un salut en garde à vous militaire et un grand sourire). Il suivait, ravi, l'attention et les regards qu'on dispersait sur ses toiles. Malgré que cette exposition ne soit pas une exception au côté stressant des vernissages, qui laissent une sorte d'hémorragie de l'aura personnelle ouverte, j'ai trouvé l'ambiance sympathique, très génération à moi, avec parfois des femmes intéressantes concentrées sur les tableaux. Je cherchais Eve, rentré de la minute cigarette, et j'ai pensé devant la sculpture d'un berceau de bébé décoré d'un casque militaire et couvert de photos de lèvres féminines, à toute cette culture freudienne qui s'étiole devant notre impuissance pour la faire comprendre à un monde de la culture et surtout à un service médical devenu pervers sans le savoir. Parlons des couleurs. Emulation. L'émulation dans la couleur est la plus charnelle manière de prendre l'univers comme on prend une femme. Meese a eu recours aux acryliques, qui facilitent un peu la vitesse et rendent inoffensive la bavure du coloriste. Mais il a pris le dessus de sa précédente exposition chez Templon, cette fois la couleur transmet une sensation, l'on se dit "c'est picassien", et l'on songe à quelques peintures du prophète Malcolm de Chazal entrevues sur google, et encore à quelqu'un qui a connu le succès avec Meese, le très bon peintre Tal R. En ressentant à nouveau le goût des couleurs, qui étaient décidément ratés dans l'autre exposition de lui chez Templon, il y a quelques années, c'est la répétition d'une sensation qui la rend moins subliminale et plus sensible chez Meese que sur des vieilles brochures de Picasso, ou des aperçus de Chazal et Tal R à l'écran. C'est pareil à la qualité de sensation qui nous prend dans l'événement du rire. Le Tao, le Yoga... euh, le Satori aussi bien sûr, tout se passe dans le rire. Il est pour ainsi dire, la commotion de l'harmonie, le point d'équilibre d'un jaune, un bleu peut-être azur, un noir décomplexé et immense sur fond blanc de Titane intact, juste barbouillé en vitesse et même pas. C'est le seul morceau que j'ai mémorisé, j'ai une mémoire très basse pour la couleur. Tout était plein d'idées autour.

La sirène d'alarme de l'auto-censure s'allume : je ne dois parler en même temps de deux intérêts dont je pourrais tirer bénéfice de façon sélective. C'est la même chose que j'ai fait pour le compte rendu de Adore de Dahlia, où je me suis mis à parler d'un concert de musiciens asiatiques qu'il est fort possible que je ne revoie pas.


vrai article :

Nous avons été au vernissage de Jonathan Meese ce soir chez Templon. Ce serait un peu ridicule, en étant peintre que je fasse démonstration d'une opinion à teneur critique. Je suis toujours enthousiaste de Meese, comme les jeunes minces mais costauds, presque des blousons noirs, que j'ai vu sortir la minute de la cigarette en prononçant presque comme un cri de guerre : "Il est le meilleur". Je suis pris dans le même charme épique, étudiant, wagnérien, mais visuel, du domaine de la "vision", mais il m'arrive d'entreprendre la peinture comme on prend une femme, avec ma propre pine.

Du moins chacun prend son tableau comme il prend sa femme, et je suis parti pour un niveau presque pastoral de critique d'art. Je suis à l'aise, j'ai mes piques, et comment se revendiquer d'une pratique qui se veut barbare, despotique, sans rentrer chacun selon son naturel. Je pense aux couleurs, les tons chair qu'il utilise avec une volupté précipitée, le jeu sacré et tonique du noir, et des nouveautés qui font penser à Picasso. Même à Matisse. Les couleurs dans leur joie, qui viennent peut-être du passage de Meese par la céramique. De la substitution à présent de l'huile par une portion d'acrylique, petite tricherie. Mais aussi d'une joie de dessiner avec les couleurs qui ne peut être qu'enracinée très profondément chez Meese, et qui devient à l'approche de la quarantaine une transparente acmé. Tellement incompris ici. Une fois que le public a accepté les thématiques, première chose dure à digérer, il faut pas toucher aux couleurs, sous risque de devenir insupportable. L'on ne veut pas faire l'effort deux fois. Ou bien, vous trouvez des gars loyaux qui vont faire de ça leur drapeau de guerre, comme moi-même je suis en train de faire. C'est cette partie-là, cette génération, qui m'intéresse, et qui est par excellence désintéressée. Ils sont tous grands et jamais tout à fait rasés, moi j'étais ce soir le plus petit et le seul je pense avec des lunettes, du moins aussi voyantes que les miennes.

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