mercredi 2 novembre 2011

sur certaines des photos d'Eve Livet expossées rue du Pont Louis-Philippe



...

Tauromachie...

oui...

L'ange de la mort était le corps;

et personne n'avait saisi

qu'il portait le démon dans l'hostie

déposée sur sa langue. La blancheur

du péché mortel en photographie

est que le corps qu'on cache lâche les chiens de la mort.

...

Jadis coulait le whisky, le cazalla, encore

cet automne fumaient parfois des joints autour de l'arène.

Les vieux se souviennent de l'ivresse

et voient tacitement là-dedans

ce qui manque aux taureaux de nos temps.

Les vieux disent que public et taureau

son sous calmants, sont à moitié morts,

depuis le premier coup de lance du picador.

Autrefois l'on risquait l'aine battante d'artères

en communion avec le danger de l'éveil

d'une corne ou d'une malédiction,

les femmes ne connaissaient le mot hystérie,

elles suivaient de près le taureau malgré les misères

du sang et des mouches en pose moleste sur leur visage de poèsie.

Cet automne je pouvais encore fumer des blondes,

mais nul insecte, nulle vomissure, nul pistolet,

est venu enfin me rendre digne d'écrire

et de faire l'amour conjugal dans la grandeur

de porter sur soi la grande blessure d'un jour de fête.

Les temps amoindris pourraient faire le sujet

des remarques des vieux qui nous éclairent d'un jet

d'ironie dans le brouillard d'une déception pas encore comprise.

...

Les planches circulent encore et les négatifs et tout

remue sur le bureau d'Eve, la valise aussi

est rouverte, je n'ai de prise

sur son matériel, je l'ai inspecté à la hâte,

le vernissage est vendredi.

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Tauromachie,

...

telle a été l'arène

des reproches esthétiques, du poignard dans les coulisses,

autour de quelques photos de corrida,

des journées passées à Madrid, à l'Hôtel Ritz.

Reproche manichéen de ma part,

de la moindre prostitution par le chromatisme

qui salisse la noirceur et l'innocence de l'Art.

Ce sont des ébauches, les pigmentations sans pedigree

des photos couleur du Ritz, ce luxe n'est que pour se faire la main,

je lui dis, dans ma fureur maniaque; l'on se déchire,

pour du sel d'argent et des rebords du négatif.

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J'insiste sur ce que la couleur est le croquis

dans la caméra photographique qui ne peut faire

un chef-d'oeuvre que dans sa précoce vieillesse

d'un négatif noir et blanc, et qu'il est en cela

que s'inverse la loi de la peinture,

le hasard est une statuette taillée au canif

par le prisonnier du corps,

l'ange de la mort; et pour lui,

le deuil s'impose, comme l'ivresse au sang de l'animal,

que l'on se doit de rester dans l'affaire

et le mystère même qui peut rester d'une corrida.

Des têtes qui s'interposent, morsures

de flou sur l'image, la mort nous apprendra

à lire les pensées de viol, de vol, de tous les outrages

du gitan espagnol ou d'une quelconque noblesse.

Là où l'anarchiste Gilles Deleuze

parlait du cinéma en tant qu'un art bergsonien,

l'on peut revenir sur l'idée grecque

et morte du repos et de la saisie

du mouvement par la statue d'un acmé,

par le moment sous clé de ces photographies.

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La Tauromachie

...

ne peut se rendre image

que dans la gravure, la pureté du cinéma classique,

et le sens tragique de sa photographie,

je hurle à Eve comme on ne peut que hurler à une déesse

dans une ancienne tragédie. Elles sont sacrées,

et ma dévotion seule peut profaner

les hosties de ses clichés et le choix des idoles

du hasard, les platitudes sensuelles de toute épiphanie.

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(pour ce qui est de moi...)

Pour la gravure, rue Recoletos l'on se procure

les tirages complets signés par le ministre de Franco,

de tout ce qu'a gravé Goya sur la corrida;

c'est mon lot de ce travail, à présent de malmener

leur noblesse par l'art adolescent du coloriage,

tel l'aurait fait ma mère avec l'illustration linéale

de ses livres de contes qu'un soir tombèrent dans mes mains,

enfance d'héritage, répétition de la sienne.

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Quand vous trouverez dans l'exposition, soit au vernissage,

soit après, d'une part la série des chevaux noir et blanc,

le cheval noir et le cheval blanc

sous la bruine perpétuelle de l'hiver, d'autre

la tauromachie, souvenez vous du soir

de votre vie. Sachez ce que l'ange

de la mort à dit à Eve et de la poésie

de la douleur dans les cornes, les épées, les regards

assoiffés ou méprisants d'un mari méprisant,

d'une discussion absurde et précaire, d'une folie récursive.

Le poids de la Hasselblad, cette lourdeur

propre au cadavre d'un fils né mort,

toujours trop légère pour qu'on puisse rien lui dire.

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Hexar : elle prend partie à la fête, voit tout du taureau,

elle doit ensuite donner quelques clichés

pour les paniques et les scènes du dernier moment.

On a dit de la Hexar qu'elle était, pour

ainsi dire, la Leica du pauvre,

et pauvre est l'humanité dans la tauromachie,

rituel carnivore et péché de la Chair; bon pour la Hexar.

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Nikon FM2 : elle connaît les caresses

d'Eve mieux que mon corps lui-même, arrivé

déjà tard pour comprendre ce fidèle et discret appareil.

Quand Eve laisse tomber la couleur et me prends

pour de vrai avec la Nikon, argentique,

je sais que je suis aussi important qu'une corrida.

...

La nature de l'humanité, dans l'intrigue

entre toréadors en fin de corrida,

est une des photographies qui ne viennent pas

de l'absolu nouveau de la vieille Hasselblad,

mais de la pratique adroite et directe de la Nikon, sans merci.

...

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