Couple VII, 2004
technique mixte sur papier kraft par Manuel Montero
(elle illustre ce récit de Pierre Merejkowsky par pure coïncidence)
CONFESSION
parue dans la revue BLEUE
Tout d’abord je tiens à préciser que je ne suis pas un malade mental.
Je reconnais cependant que je suis incapable de m’empêcher de commenter par écrit les voeux que le gérant de la co propriété affiche au début de chaque année dans la cage de l’ascenseur. Cette déplorable manie que je suis encore une fois incapable de réfréner risque de se retourner contre moi. Il est en effet interdit d’écrire sur les parties communes de l’immeuble. Et il est évident que la cage de l’ascenseur appartient aux parties communes. Je ne peux cependant pas vivre dans la crainte. Un écrit sur une partie commune ne débouchera pas forcément sur une plainte auprès du Tribunal de Première Instance. J’ai quarante sept ans et il est temps que je me débarrasse de mes peurs. Je me dois d’affronter ma réalité d’adulte responsable. Je fréquente plusieurs producteurs de films indépendants. Je ne ressens aucun sentiment de culpabilité. Un producteur de film indépendant même s’il se présente sous les traits d’une femme exerce une profession, celle précisément de producteur de films indépendants. Il n’a de ce fait aucune raison d’entretenir avec moi des apports affectifs. Il doit trouver un somme minimale de 597 euros tous les mois pour faire face à des frais fixes (téléphone, charge patronale, envois de courriers) et il est donc exclu qu’il se laisse entraîner dans le soutien d’un seul projet qui s’il échoue risque de mettre à mal l’ensemble de ses activités professionnelles. Je suis parfaitement conscient de cette réalité économique. J’expose en présence de chaque producteur de films indépendants le développement des projets en cours avec les autres producteurs de films indépendants que je fréquente. Je me place ainsi dans la catégorie des réalisateurs dynamiques de films indépendants. Je laisse habilement entendre que mes contacts pourront déboucher sur de nouvelles rencontres et que par mon intermédiaire il sera possible de conquérir de nouvelles parts de marché. Je n’ai évidemment pas le temps de rencontrer tous ces producteurs de films indépendants dans la même journée. Aussi j’ai pris depuis peu une décision extrêmement sage. J’ai décidé unilatéralement d’établir le calendrier précis de mes rencontres avec ces producteurs de films indépendants. Je téléphone au premier producteur de films indépendants un vendredi sur deux, je déjeune avec le second un mercredi sur trois, je téléphone au quatrième tous les deuxièmes jeudis du mois, j’évite de laisser un message sur le répondeur du troisième (ce pour des raisons qui me sont personnelles) et je téléphone au cinquième une fois par trimestre. Mes projets s’imbriquent les uns dans les autres. J’affirme que je suis en tournage ou en montage. Je suis vivant. Je ne suis pas mort. Je mange peu, je ne bois pas d’alcool, et en ce qui concerne un éventuel danger lié à une surconsommation de tabac, c’est bien simple, je ne fume pas. Je suis donc légitimement fondé à affirmer sans aucune prétention de ma part que la rencontre avec un producteur de films indépendants a définitivement cessé de m’effrayer. Je ne saurais toutefois me contenter de ce premier résultat. J’approche encore une fois de la cinquantaine et je me dois d’accéder à une certaine sérénité. Je dois aborder la question de mes rencontres avec les femmes. Examinons d’abord la situation. Sans complaisance d’aucune sorte et en toute objectivité. Ma peur de la rencontre avec un producteur de films indépendants professionnelle est terrassée. Définitivement. Et j’en aurai fini avec cette question, il est désormais évident que ces différentes rencontres avec des producteurs de films indépendants sont non seulement coordonnée mais maîtrisées.
Je fais encore une fois et manifestement preuve d’une attitude parfaitement professionnelle.
Je ne peux pas malheureusement pas en dire autant de mes autres rencontres. Je veux parler de mes rencontres avec les femmes ou plutôt avec la femme (n’ayons pas peur des mots).
Il serait tout d’abord utile de trouver le qualificatif qui permettrait de définir le caractère de ces rencontres. Il est en effet possible de classer ce genre de rencontre dans une catégorie qui engloberait la notion d’un simple passe temps, d’un délassement, d’une bonne bouffe, (ainsi que me le fit remarquer Claire la première et la dernière fois que nous fîmes l’amour), ou encore d’une amitié, voir d’une amitié amoureuse ou encore d’une simple mesure d’ordre hygiénique. Mais la catégorie retenue importe peu. Il est parfaitement évident que contrairement à mes rencontres avec les producteurs de films indépendants, la présence d’une femme m’empêche manifestement d’adopter une attitude professionnelle. (j’emploie ce qualificatif dans un souci de simplification). Michèle était parfaitement libre de s’envoyer en l’air avec le ponte de la Fédération anarchiste et il était globalement inutile d’hurler sous la fenêtre carrée de la rédaction du Monde Libertaire. De même et sans exagérer, je crois que ma première rencontre avec la mère de ma septième fille s’est considérablement éloignée d’une attitude professionnelle. Géraldine avait appuyé sur le bouton de mon interphone à une heure du matin. Mon téléphone fixe était occupé depuis deux heures et trente sept minutes. Mon téléphone portable était débranché. Je m’élevais contre les prises de position du ponte de la Fédération Anarchiste qui avait refusé de s’investir dans des relations horizontales et non hiérarchisées. Géraldine avait ôté son manteau, son écharpe et son bonnet (nous étions à la veille d’un hiver qui risquait de devenir particulièrement rigoureux), elle avait contourné la pile des romans russes, puis avait heurté un exemplaire de l’Apocalypse de Saint Jean et elle m’avait demandé si elle pouvait m’embrasser. J’avais répondu qu’elle pouvait m’embrasser. Elle avait aussitôt allumé le chauffe eau pour une raison qui m’est toujours restée obscure, puis elle m’avait embrassé. Mon postérieur avait glissé sur l’armature en bois laqué de mon lit à trois places, elle avait déboutonné les boutons du pantalon vert pomme que j’avais acheté avec Ofélia dans une boutique mexicaine, elle avait glissé sa main droite dans mon slip bleu ciel, et avait posé ses lèvres sur mon sexe durci par cet événement imprévu. Neuf mois plus tard, elle mettait au monde ma septième fille. Elle emménagea aussitôt dans un logement social de soixante dix huit mètres carrés. Et, conformément aux lois sociales en vigueur, elle eut ensuite la possibilité de transformer son emploi d’assistante sociale à plein temps en un emploi d’assistante sociale à trois septième de temps. Nos relations à la suite de cette série d’événements pour le moins heureux perdirent leur caractère spontané. Elle cessa d’embrasser mon sexe. Mon statut de réalisateur de films indépendants facilita mes rencontres avec plusieurs femmes. Ofélia m’écrivit une lettre .Je lui téléphonai le soir même. Elle me supplia de la pardonner. Je lui appris que je venais d’être père pour la huitième fois. Elle hurla qu’elle ne voulait plus jamais entendre parler des mes femmes, plus jamais (tu entends répéta t elle) Une autre femme se présenta ensuite à mon domicile en prenant comme prétexte l’oubli d’un appareil photo. Elle déclara qu’elle avait été violée dans son adolescence par un palestinien. Je m’abstins de tout commentaire et je me lançais dans une incroyable tirade. Je déclarai sans aucun préambule d’aucune sorte que les hommes politiques n’avaient pas de programme, et qu’ils étaient contraints de provoquer des conflits armés et artificiels entres les juifs et les palestiniens et entre les habitants des banlieues afin de justifier leurs programmes sécuritaires et fascisants. Je perdis ainsi une occasion d’oublier mes frustrations sexuelles et l’intense solitude qui en résultait. Cette femme dont je tairai le prénom pour des soucis de discrétion liée à mon activité professionnelle mit plusieurs mois à me rappeler. Elle avait été sans doute consternée par le caractère névrotique de cette harangue. Je fis ensuite la connaissance de quelques autres femmes (je ne me souviens plus exactement du nombre de femmes que j’eus ainsi l’occasion de rencontrer). Et toutes ces rencontres, comme les précédentes, portèrent la marque d’un incroyable manque de professionnalisme. (ainsi pour prendre un exemple Nadia me proposa d’écrire un article pour une revue sur internet, je laissais entendre que son rédacteur en chef n’apprécierait ni le ton ni la forme de mon article, elle m’assura qu’elle jouissait dans cette revue d’une liberté de ton totale (sic). J’écrivis l’article, je la rappelais après un délai raisonnable et professionnel et elle affirma qu’il n’était pas possible de publier en état un tel brûlot, je répondis avec une violence invraisemblable que j’éliminerais sans aucune pitié toutes les personnes, hommes ou femmes qui tenteraient de s’opposer à la réalisation de mes films indépendants). Mon but ne consiste pas à me montrer sous un jour favorable. Je suis conscient de mes limites. Je connais la cause de l’échec de toutes ces rencontres qui auraient dû en toute logique déboucher sur une ou plusieurs caresses intimes. Il faut être précis dans ses analyses. Je crois qu’il est nécessaire d’éviter de se laisser déborder par ses sentiments, par ses impressions, par le passé, par un passé (le passé ne peut être comparé à un présent). Il suffit en fait de se représenter un long couloir. Un long couloir bordé de fenêtres closes qui laissent filtrer la douce lumière d’un paysage verdoyant peuplé de vaches, vous savez un de ces paysages qui hante parfois vos nuits et qui ne laisse la place à aucune autre sensation que celle provoquée par un paysage verdoyant. Mais laissons de côté ces questions de paysages verdoyants et de vaches laitières qui ne présentent aucun intérêt. Je préfère revenir à la question qui nous obsède tous, c’est à dire à celle de nos rencontres. Avec les femmes (ou avec la femme). L’évocation d’un long couloir n’est cependant peut être pas aussi futile qu’il ne le paraît. Ces femmes sont immobiles. Elles sont alignées les unes derrière les autres. Leurs bouches vermeilles se tendent vers vos bouches, leurs bras vous étreignent, puis sans avertissement d’aucune sorte, elles se mettent à répéter “je t’aime”. Le paysage verdoyant s’estompe. Les vaches laitières se fondent dans l’obscurité. Le long couloir débouche sur le bureau du Service Social. Un couple halète, une fillette naît, une femme meurt, un enfant pleure, les femmes sanglotent. La porte vitrée du bureau du Service Social se referme. Un enfant rit. Le long couloir débouche à nouveau sur le même paysage verdoyant peuplé par les vaches indifférentes et massives. Je n’aurais pas dû accepter le rendez vous que m’a fixé la comédienne. Elle a commencé par me dire que ce café était sordide, et qu’elle ne voulait pas fréquenter des cafés sordides. Nous avons délaissé le café sordide. J’ai affirmé que la réalisation de mes films indépendants entrait dans un processus de modifications des rapports humains. Et que le café sordide remettait en cause la structure conventionnelle du café. Je suis un rebelle. Un film est acte de rébellion. L’Art n’est pas Beau. L’émotion ne nous appartient pas, elle est programmée par la presse liée aux groupes mondialistes qui défendent leur exceptions culturelles. “Je voudrais te poser une question” a interrompu la comédienne. “Je t’écoute” ai je dit. “Si je te comprends bien, la notion de plaisir ne rentre pas du tout dans ton programme”a t elle ajouté après avoir observé un bref mais significatif silence. Je ne me suis pas arrêté. Je me suis élevé contre la main mise des professeurs d’Art Plastique sur le cinéma dit expérimental. Je n’ai pas dit que je m’étais assis à côté de Caroline sur le divan de Caroline. Je n’ai pas dit que j’avais parlé avec Caroline des enjeux qui accompagnent la vente de la haute Couture, je n’ai pas dit que j’avais fixé mon regard sur les jambes légèrement écartées de Caroline, je n’ai pas dit que j’avais eu envie de dégrafer le soutien gorge de Caroline, d’ailleurs dans le même ordre idée, j’ai exceptionnellement observé l’année dernière une attitude professionnelle, j’ai pris la décision unilatérale de renoncer à continuer à attendre Simone, Simone avait plus d’une heure de retard et je suis descendu prendre un café dans le tabac sordide que je fréquente à intervalles réguliers. Je risquais d’entrer dans un cercle de complication inextricable, la mère de ma septième fille m’aurait peut être posé des questions sur mon emploi du temps, je suis incapable de mentir, les producteurs savent que je ne cherche jamais à les abuser sur le coût réel de mes films, (cette absence de mensonge constitue pour eux un attrait supplémentaire), et je n’avais aucune raison de sacrifier une relation stable pour un plaisir passager. Cette stabilité m’a permis de ne pas me laisser entraîner dans un rapport de séduction avec la femme du producteur qui me propose de tourner un film dans des conditions professionnelles. Simone avait mangé le tiers de la baguette que je venais d’acheter, ce qui n’est pas encore trop grave, mais il est vraisemblable qu’elle aurait ensuite cherché à jouer dans mes films si j’avais accepté de l’attendre une heure de plus et je sais par expérience qu’il est préférable d’éviter de promettre le même rôle à plusieurs comédiennes. (à moins d’adopter une attitude cynique, mais le cynisme n’est pas mon école). Je n’ai pas répondu à la question de la comédienne. J’ai démoli le film du compagnon officiel de cette comédienne et j’ai eu également raison d’affirmer que sa performance dans ce même film n’était pas éloigné de mon esprit de rébellion. Je n’ai pas de regret. Ce film n’a été sélectionné dans aucun festival. Cette comédienne exerce une activité dans le même secteur que ma profession et il est souhaitable d’entretenir des relations avec des collègues de travail. Je ne dois pas m’isoler. Les producteurs et la chaîne de télévision nationale cesseront peut être de produire dans un proche avenir des films dit sociaux. Dans le même ordre d’idée, je ne regrette pas de ne pas avoir raccompagné Bénédicte chez elle. Je suis incapable d’assurer la gestion du festival que Bénédicte dirige, enfin en ce qui concerne Aicha, je ne dois pas essayer de lui téléphoner, elle est repartie comme c’était prévisible en Algérie, et il vaut mieux que j’envoie mon film au festival des films de racaille, je connais un des organisateurs, nous avons bu un verre il y a huit ans dans un café, notre relation porte la marque de la clarté, et téléphoner dans ces conditions une nouvelle fois à Ofélia aurait été également une perte de temps, Ofélia est certainement retournée avec l’amant mexicain qui m’avait précédé, et il n’y aucune chance pour qu’elle accepte de revenir avec moi à Paris. Je ne veux plus mélanger ma vie professionnelle à ma vie affective. Je ne répondrai plus dans la minute aux messages féminins ou masculins qui sont laissés sur mon répondeur. J’observerai à chaque fois un délai d’une dizaine d’heure. Ce non engagement programmé constituera une nouvelle offre attractive supplémentaire. Ils pourront me fréquenter en toute quiétude. Ils auront la certitude que je ne cherche pas à développer une relation fusionnelle qui pourra nuire à un équilibre professionnel ou affectif Je dois faire preuve de lucidité. Mes multiples relations professionnelles ont été couronnées de succès. Il est temps que je prenne désormais le temps de construire ma vie sur des bases saines. La mise en concurrence de plusieurs femmes et de plusieurs comédiennes s’est soldée par des échecs successifs. L’instauration dans ces conditions d’un calendrier qui régirait le cadre de mes rencontres affectives n’assurerait en aucune façon le développement harmonieux de l’ensemble de ces caresses intimes. Je ne dois plus séparer l’affectif du politique ainsi que je l’ai récemment écrit dans la brillante note d’intention que m’a demandé d’écrire la nièce du producteur qui m’invite à rompre avec le circuit propre aux producteurs de films indépendants. Ma décision sera irrévocable. Il est totalement exclu que je m’enferme dans le cycle que constitue le déclenchement non maîtrisé d’une tentative de dépression nerveuse. Je continuerai à fréquenter des cafés sordides.
pierre merejkowsky
les films du crime et du châtiment
merejkowskypierre@hotmail.com
parue dans la revue BLEUE
Tout d’abord je tiens à préciser que je ne suis pas un malade mental.
Je reconnais cependant que je suis incapable de m’empêcher de commenter par écrit les voeux que le gérant de la co propriété affiche au début de chaque année dans la cage de l’ascenseur. Cette déplorable manie que je suis encore une fois incapable de réfréner risque de se retourner contre moi. Il est en effet interdit d’écrire sur les parties communes de l’immeuble. Et il est évident que la cage de l’ascenseur appartient aux parties communes. Je ne peux cependant pas vivre dans la crainte. Un écrit sur une partie commune ne débouchera pas forcément sur une plainte auprès du Tribunal de Première Instance. J’ai quarante sept ans et il est temps que je me débarrasse de mes peurs. Je me dois d’affronter ma réalité d’adulte responsable. Je fréquente plusieurs producteurs de films indépendants. Je ne ressens aucun sentiment de culpabilité. Un producteur de film indépendant même s’il se présente sous les traits d’une femme exerce une profession, celle précisément de producteur de films indépendants. Il n’a de ce fait aucune raison d’entretenir avec moi des apports affectifs. Il doit trouver un somme minimale de 597 euros tous les mois pour faire face à des frais fixes (téléphone, charge patronale, envois de courriers) et il est donc exclu qu’il se laisse entraîner dans le soutien d’un seul projet qui s’il échoue risque de mettre à mal l’ensemble de ses activités professionnelles. Je suis parfaitement conscient de cette réalité économique. J’expose en présence de chaque producteur de films indépendants le développement des projets en cours avec les autres producteurs de films indépendants que je fréquente. Je me place ainsi dans la catégorie des réalisateurs dynamiques de films indépendants. Je laisse habilement entendre que mes contacts pourront déboucher sur de nouvelles rencontres et que par mon intermédiaire il sera possible de conquérir de nouvelles parts de marché. Je n’ai évidemment pas le temps de rencontrer tous ces producteurs de films indépendants dans la même journée. Aussi j’ai pris depuis peu une décision extrêmement sage. J’ai décidé unilatéralement d’établir le calendrier précis de mes rencontres avec ces producteurs de films indépendants. Je téléphone au premier producteur de films indépendants un vendredi sur deux, je déjeune avec le second un mercredi sur trois, je téléphone au quatrième tous les deuxièmes jeudis du mois, j’évite de laisser un message sur le répondeur du troisième (ce pour des raisons qui me sont personnelles) et je téléphone au cinquième une fois par trimestre. Mes projets s’imbriquent les uns dans les autres. J’affirme que je suis en tournage ou en montage. Je suis vivant. Je ne suis pas mort. Je mange peu, je ne bois pas d’alcool, et en ce qui concerne un éventuel danger lié à une surconsommation de tabac, c’est bien simple, je ne fume pas. Je suis donc légitimement fondé à affirmer sans aucune prétention de ma part que la rencontre avec un producteur de films indépendants a définitivement cessé de m’effrayer. Je ne saurais toutefois me contenter de ce premier résultat. J’approche encore une fois de la cinquantaine et je me dois d’accéder à une certaine sérénité. Je dois aborder la question de mes rencontres avec les femmes. Examinons d’abord la situation. Sans complaisance d’aucune sorte et en toute objectivité. Ma peur de la rencontre avec un producteur de films indépendants professionnelle est terrassée. Définitivement. Et j’en aurai fini avec cette question, il est désormais évident que ces différentes rencontres avec des producteurs de films indépendants sont non seulement coordonnée mais maîtrisées.
Je fais encore une fois et manifestement preuve d’une attitude parfaitement professionnelle.
Je ne peux pas malheureusement pas en dire autant de mes autres rencontres. Je veux parler de mes rencontres avec les femmes ou plutôt avec la femme (n’ayons pas peur des mots).
Il serait tout d’abord utile de trouver le qualificatif qui permettrait de définir le caractère de ces rencontres. Il est en effet possible de classer ce genre de rencontre dans une catégorie qui engloberait la notion d’un simple passe temps, d’un délassement, d’une bonne bouffe, (ainsi que me le fit remarquer Claire la première et la dernière fois que nous fîmes l’amour), ou encore d’une amitié, voir d’une amitié amoureuse ou encore d’une simple mesure d’ordre hygiénique. Mais la catégorie retenue importe peu. Il est parfaitement évident que contrairement à mes rencontres avec les producteurs de films indépendants, la présence d’une femme m’empêche manifestement d’adopter une attitude professionnelle. (j’emploie ce qualificatif dans un souci de simplification). Michèle était parfaitement libre de s’envoyer en l’air avec le ponte de la Fédération anarchiste et il était globalement inutile d’hurler sous la fenêtre carrée de la rédaction du Monde Libertaire. De même et sans exagérer, je crois que ma première rencontre avec la mère de ma septième fille s’est considérablement éloignée d’une attitude professionnelle. Géraldine avait appuyé sur le bouton de mon interphone à une heure du matin. Mon téléphone fixe était occupé depuis deux heures et trente sept minutes. Mon téléphone portable était débranché. Je m’élevais contre les prises de position du ponte de la Fédération Anarchiste qui avait refusé de s’investir dans des relations horizontales et non hiérarchisées. Géraldine avait ôté son manteau, son écharpe et son bonnet (nous étions à la veille d’un hiver qui risquait de devenir particulièrement rigoureux), elle avait contourné la pile des romans russes, puis avait heurté un exemplaire de l’Apocalypse de Saint Jean et elle m’avait demandé si elle pouvait m’embrasser. J’avais répondu qu’elle pouvait m’embrasser. Elle avait aussitôt allumé le chauffe eau pour une raison qui m’est toujours restée obscure, puis elle m’avait embrassé. Mon postérieur avait glissé sur l’armature en bois laqué de mon lit à trois places, elle avait déboutonné les boutons du pantalon vert pomme que j’avais acheté avec Ofélia dans une boutique mexicaine, elle avait glissé sa main droite dans mon slip bleu ciel, et avait posé ses lèvres sur mon sexe durci par cet événement imprévu. Neuf mois plus tard, elle mettait au monde ma septième fille. Elle emménagea aussitôt dans un logement social de soixante dix huit mètres carrés. Et, conformément aux lois sociales en vigueur, elle eut ensuite la possibilité de transformer son emploi d’assistante sociale à plein temps en un emploi d’assistante sociale à trois septième de temps. Nos relations à la suite de cette série d’événements pour le moins heureux perdirent leur caractère spontané. Elle cessa d’embrasser mon sexe. Mon statut de réalisateur de films indépendants facilita mes rencontres avec plusieurs femmes. Ofélia m’écrivit une lettre .Je lui téléphonai le soir même. Elle me supplia de la pardonner. Je lui appris que je venais d’être père pour la huitième fois. Elle hurla qu’elle ne voulait plus jamais entendre parler des mes femmes, plus jamais (tu entends répéta t elle) Une autre femme se présenta ensuite à mon domicile en prenant comme prétexte l’oubli d’un appareil photo. Elle déclara qu’elle avait été violée dans son adolescence par un palestinien. Je m’abstins de tout commentaire et je me lançais dans une incroyable tirade. Je déclarai sans aucun préambule d’aucune sorte que les hommes politiques n’avaient pas de programme, et qu’ils étaient contraints de provoquer des conflits armés et artificiels entres les juifs et les palestiniens et entre les habitants des banlieues afin de justifier leurs programmes sécuritaires et fascisants. Je perdis ainsi une occasion d’oublier mes frustrations sexuelles et l’intense solitude qui en résultait. Cette femme dont je tairai le prénom pour des soucis de discrétion liée à mon activité professionnelle mit plusieurs mois à me rappeler. Elle avait été sans doute consternée par le caractère névrotique de cette harangue. Je fis ensuite la connaissance de quelques autres femmes (je ne me souviens plus exactement du nombre de femmes que j’eus ainsi l’occasion de rencontrer). Et toutes ces rencontres, comme les précédentes, portèrent la marque d’un incroyable manque de professionnalisme. (ainsi pour prendre un exemple Nadia me proposa d’écrire un article pour une revue sur internet, je laissais entendre que son rédacteur en chef n’apprécierait ni le ton ni la forme de mon article, elle m’assura qu’elle jouissait dans cette revue d’une liberté de ton totale (sic). J’écrivis l’article, je la rappelais après un délai raisonnable et professionnel et elle affirma qu’il n’était pas possible de publier en état un tel brûlot, je répondis avec une violence invraisemblable que j’éliminerais sans aucune pitié toutes les personnes, hommes ou femmes qui tenteraient de s’opposer à la réalisation de mes films indépendants). Mon but ne consiste pas à me montrer sous un jour favorable. Je suis conscient de mes limites. Je connais la cause de l’échec de toutes ces rencontres qui auraient dû en toute logique déboucher sur une ou plusieurs caresses intimes. Il faut être précis dans ses analyses. Je crois qu’il est nécessaire d’éviter de se laisser déborder par ses sentiments, par ses impressions, par le passé, par un passé (le passé ne peut être comparé à un présent). Il suffit en fait de se représenter un long couloir. Un long couloir bordé de fenêtres closes qui laissent filtrer la douce lumière d’un paysage verdoyant peuplé de vaches, vous savez un de ces paysages qui hante parfois vos nuits et qui ne laisse la place à aucune autre sensation que celle provoquée par un paysage verdoyant. Mais laissons de côté ces questions de paysages verdoyants et de vaches laitières qui ne présentent aucun intérêt. Je préfère revenir à la question qui nous obsède tous, c’est à dire à celle de nos rencontres. Avec les femmes (ou avec la femme). L’évocation d’un long couloir n’est cependant peut être pas aussi futile qu’il ne le paraît. Ces femmes sont immobiles. Elles sont alignées les unes derrière les autres. Leurs bouches vermeilles se tendent vers vos bouches, leurs bras vous étreignent, puis sans avertissement d’aucune sorte, elles se mettent à répéter “je t’aime”. Le paysage verdoyant s’estompe. Les vaches laitières se fondent dans l’obscurité. Le long couloir débouche sur le bureau du Service Social. Un couple halète, une fillette naît, une femme meurt, un enfant pleure, les femmes sanglotent. La porte vitrée du bureau du Service Social se referme. Un enfant rit. Le long couloir débouche à nouveau sur le même paysage verdoyant peuplé par les vaches indifférentes et massives. Je n’aurais pas dû accepter le rendez vous que m’a fixé la comédienne. Elle a commencé par me dire que ce café était sordide, et qu’elle ne voulait pas fréquenter des cafés sordides. Nous avons délaissé le café sordide. J’ai affirmé que la réalisation de mes films indépendants entrait dans un processus de modifications des rapports humains. Et que le café sordide remettait en cause la structure conventionnelle du café. Je suis un rebelle. Un film est acte de rébellion. L’Art n’est pas Beau. L’émotion ne nous appartient pas, elle est programmée par la presse liée aux groupes mondialistes qui défendent leur exceptions culturelles. “Je voudrais te poser une question” a interrompu la comédienne. “Je t’écoute” ai je dit. “Si je te comprends bien, la notion de plaisir ne rentre pas du tout dans ton programme”a t elle ajouté après avoir observé un bref mais significatif silence. Je ne me suis pas arrêté. Je me suis élevé contre la main mise des professeurs d’Art Plastique sur le cinéma dit expérimental. Je n’ai pas dit que je m’étais assis à côté de Caroline sur le divan de Caroline. Je n’ai pas dit que j’avais parlé avec Caroline des enjeux qui accompagnent la vente de la haute Couture, je n’ai pas dit que j’avais fixé mon regard sur les jambes légèrement écartées de Caroline, je n’ai pas dit que j’avais eu envie de dégrafer le soutien gorge de Caroline, d’ailleurs dans le même ordre idée, j’ai exceptionnellement observé l’année dernière une attitude professionnelle, j’ai pris la décision unilatérale de renoncer à continuer à attendre Simone, Simone avait plus d’une heure de retard et je suis descendu prendre un café dans le tabac sordide que je fréquente à intervalles réguliers. Je risquais d’entrer dans un cercle de complication inextricable, la mère de ma septième fille m’aurait peut être posé des questions sur mon emploi du temps, je suis incapable de mentir, les producteurs savent que je ne cherche jamais à les abuser sur le coût réel de mes films, (cette absence de mensonge constitue pour eux un attrait supplémentaire), et je n’avais aucune raison de sacrifier une relation stable pour un plaisir passager. Cette stabilité m’a permis de ne pas me laisser entraîner dans un rapport de séduction avec la femme du producteur qui me propose de tourner un film dans des conditions professionnelles. Simone avait mangé le tiers de la baguette que je venais d’acheter, ce qui n’est pas encore trop grave, mais il est vraisemblable qu’elle aurait ensuite cherché à jouer dans mes films si j’avais accepté de l’attendre une heure de plus et je sais par expérience qu’il est préférable d’éviter de promettre le même rôle à plusieurs comédiennes. (à moins d’adopter une attitude cynique, mais le cynisme n’est pas mon école). Je n’ai pas répondu à la question de la comédienne. J’ai démoli le film du compagnon officiel de cette comédienne et j’ai eu également raison d’affirmer que sa performance dans ce même film n’était pas éloigné de mon esprit de rébellion. Je n’ai pas de regret. Ce film n’a été sélectionné dans aucun festival. Cette comédienne exerce une activité dans le même secteur que ma profession et il est souhaitable d’entretenir des relations avec des collègues de travail. Je ne dois pas m’isoler. Les producteurs et la chaîne de télévision nationale cesseront peut être de produire dans un proche avenir des films dit sociaux. Dans le même ordre d’idée, je ne regrette pas de ne pas avoir raccompagné Bénédicte chez elle. Je suis incapable d’assurer la gestion du festival que Bénédicte dirige, enfin en ce qui concerne Aicha, je ne dois pas essayer de lui téléphoner, elle est repartie comme c’était prévisible en Algérie, et il vaut mieux que j’envoie mon film au festival des films de racaille, je connais un des organisateurs, nous avons bu un verre il y a huit ans dans un café, notre relation porte la marque de la clarté, et téléphoner dans ces conditions une nouvelle fois à Ofélia aurait été également une perte de temps, Ofélia est certainement retournée avec l’amant mexicain qui m’avait précédé, et il n’y aucune chance pour qu’elle accepte de revenir avec moi à Paris. Je ne veux plus mélanger ma vie professionnelle à ma vie affective. Je ne répondrai plus dans la minute aux messages féminins ou masculins qui sont laissés sur mon répondeur. J’observerai à chaque fois un délai d’une dizaine d’heure. Ce non engagement programmé constituera une nouvelle offre attractive supplémentaire. Ils pourront me fréquenter en toute quiétude. Ils auront la certitude que je ne cherche pas à développer une relation fusionnelle qui pourra nuire à un équilibre professionnel ou affectif Je dois faire preuve de lucidité. Mes multiples relations professionnelles ont été couronnées de succès. Il est temps que je prenne désormais le temps de construire ma vie sur des bases saines. La mise en concurrence de plusieurs femmes et de plusieurs comédiennes s’est soldée par des échecs successifs. L’instauration dans ces conditions d’un calendrier qui régirait le cadre de mes rencontres affectives n’assurerait en aucune façon le développement harmonieux de l’ensemble de ces caresses intimes. Je ne dois plus séparer l’affectif du politique ainsi que je l’ai récemment écrit dans la brillante note d’intention que m’a demandé d’écrire la nièce du producteur qui m’invite à rompre avec le circuit propre aux producteurs de films indépendants. Ma décision sera irrévocable. Il est totalement exclu que je m’enferme dans le cycle que constitue le déclenchement non maîtrisé d’une tentative de dépression nerveuse. Je continuerai à fréquenter des cafés sordides.
pierre merejkowsky
les films du crime et du châtiment
merejkowskypierre@hotmail.com
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