lundi 6 décembre 2010

sieste



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J'allais dans un musée. L'exposition s'appelait "Le(s) retour(s) à la peinture (contemporaine) de Bibi Fricotin". L'artiste, au fond bon technicien et même imaginatif jusqu'à presque mon degré, était trop timide pour se présenter autrement que sous ce pseudonyme. D'ailleurs, c'est l'animatrice de l'atelier pour enfants qui m'expliquait tout ça. Elle me disait que l'artiste, bon, en fait le critique, ou tous les deux, ou plutôt la mairie, avaient voulu que les enfants vivent dans le musée l'initiation... ou, mieux, le retour à la peinture.

C'est vrai que ça donne envie de peindre, lui dis-je, à la stagiaire, pendant qu'elle ébauchait une timide caresse extra-officiel sur la tête d'un de ses cupidons fan de Bob l'Eponge. Et, le mec, il te faut une éponge pour peindre Bob, lui dis-je. Déjà dans Pline l'Ancien, c'est un lieu commun de l'art (contemporain). Alors, elle me signalait que la salle d'à côté était pleine à craquer de vrais matériaux de peinture, chiffons, huiles, toute sorte de médiums jusqu'au plus cher : l'ambre liquide, et que c'était le souhait de Bibi Fricotin de donner au public tous les moyens de peindre. C'est que mon rêve devait se passer dans un musée des Emirats, qui ont beaucoup de ressources à investir dans ce nouveau domaine.

Au public ? Oui, aux enfants, disons. Parce que moi, mademoiselle, je suis adulte mais je ressens à la vue des couleurs, des tableaux, des brosses et des pinceaux, une certaine envie de peindre. Mais bien sûr, vous aussi ! Je ne sais pas si c'était Miro ou Picasso qui disait que face à l'art nous avons tous un enfant en nous. Prenez des tubes d'huile, un pot de térébenthine, un pinceau pour les détails et une brosse pour les mises en abîme (ou l'inverse) mais éloignez- vous du groupe d'enfants, parce que c'est mal vu.

Ne vous en faites pas, je prends tout ça et je continue ma visite. Cependant, je reculais juste un peu au fond de la salle où une grande composition appelée "la chambre nuptiale" représentait une chambre style vieille France, comme celles du Ritz. Moi qui suis un artiste réactionnaire, j'ai senti alors l'appel de l'art contemporain et, tout en commençant par l'oeil, je me suis mis à peindre sur le tableau de Bibi Fricotin, le portrait de la stagiaire, la tête accoudée sur l'oreiller du lit à baldaquin. Elle a jeté un regard en arrière et elle a dit "Waouw", mais étant trop sollicitée par le groupe de petits, elle a été forcée de me laisser faire et de continuer de les motiver.

Emballé, j'ai peint avec du jaune indien, du jaune de chrome et du rouge vermillonné comme des flammes qui prenaient sur la table du petit déjeuner, dont le tableau de "la chambre nuptiale" était pourvu. Il faut toujours "flamber" pour que la peinture soit vraiment une pratique artistique "totale". J'avais le regret de ne pas avoir la Philosophie de l'ameublement d'Edgar Poe à la portée de la main. Je dessinais sur la table un bon jambon ibérique et fit une pause. Je m'approchais du groupe et la stagiaire me dit "je suis confuse, vous m'avez prise par surprise". "Ecoutez, il manquait un peu de chaleur humaine à ce tableau, et je n'ai fait que commencer". Oui, me dit-elle, c'est ça. Le pire, c'est que je suis d'accord avec votre pratique qui s'appelle détournement ou appropriation (les frères Chapman l'on fait avec Goya), et que vous êtes en train de me fournir un matériel direct pour la thèse doctorale que je prépare actuellement, Monsieur.

Peux-je voir votre nombril, comme ça, vite fait ? Le reste je le ferai de tête. Elle tourna le dos (ou même pas) au groupe d'enfants et me montra un nombril tatoué tout autour du pseudonyme de son écrivain préféré qui venait de gagner le Goncourt 2010. "Vous n'auriez pas une partie qui ne soit pas tatouée ?" Oui, les seins, parce que ça fait mal". Même topo. Excité comme une puce, je vais au tableau et ajoute au visage un corps rosé et rendu éternel dans la volupté avec laquelle on regarde la télé depuis le lit. Je commence à avoir plein d'idées pour la continuation et, lorsque je reviens de chercher d'autres matériaux de la salle contiguë, je trouve ma stagiaire qui explique la merveille à la directrice du musée.

Ah, madame, j'attaque d'avance avant d'écouter, il faut que je mette aussi sur le tableau votre portrait, habillée en bonne. Appelez l'artiste, Bibi Fricotin, et posez-lui la question, vous verrez qu'il est d'accord avec moi. Alors, nous tous, sauf les enfants, sommes allés manger au restaurant du musée des Emirats qui servait du gibier d'Écosse avec un arrière-goût de poivron et de chocolat, contents d'avoir vécu un historique retour à la peinture (contemporaine).

sieste du dimanche
Manuel Montero

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