jeudi 17 juin 2010

Zsuzsanna Vàrkonyi

CONCERT À L’ERMITAGE

(poursuite expérimentale de la "vie de Porcelet" que vous connaissez)

Pour les personnages immortels de ton roman, dit Singet à Porcelet, choisis toujours les musiciens. Oui, et ma propre personne ajouta Porcelet. Choisis les musiciens, continua Singet, par leur minceur, par leur minceur d’âme, si on peut dire. Aux autres personnages tu peux leur donner de ridicules prénoms fictifs, comme les nôtres, mais respecte toujours la mémoire des musiciens que tu auras entendu jouer dans ta vie.

C’est ainsi que valet et docteur choisirent, dans le Paris du début du XXIe siècle, pour sujet de leur roman la chanteuse hongroise Zsuzsanna Vàrkonyi, qui leur semblait originale et en même temps intemporelle. De la musique tzigane on en a des millénaires qui scintillent comme une voie lactée du romanesque. Quant aux gitans de mon pays, en langue française, je pense au polonais, officier de Napoléon, passionné des gitans espagnols, Jan Potocki. Pour le cinéma en Espagne le grand témoin est Carlos Saura. Pour les autres pays, des metteurs en scène que les cinéphiles connaissent bien, et qui de leur vivant sont déjà entre eux si opposés par des rivalités, que je préfère oublier leurs noms. Mais qui ont tous produit du bon et grand cinéma.

Singet et Porcelet ne se mettaient pas d’accord si des deux concerts auxquels ils avaient assisté, l’un en 2008, l’autre en 2010, le meilleur était le solo ou bien le dernier concert à l’Ermitage, dont ils ne voulaient pas perdre ce même soir la magie et qu’ils essayaient de coucher comme premier jet de leur roman. Ils ne se mettaient pas d’accord parce que l’un d’eux voyait l’orchestre, même si bonne, couvrir trop la voix.

premier document

invitation pour hier soir

Le 9 juin 10 à 23:33, zsuzsanna varkonyi a écrit :

Chers amis,

Voici notre dernière concert au Studio de L’Ermitage avant le grand été !

Un concert avec les invités spéciales, une soirée italo-franco-americano- hongrois !!!!

Le 16 JUIN 21h 8, rue de L’Ermitage, 75020 Paris entrée : 8/12 euros

Avec :

My Friend Jeff ( USA )

Les Guappecarto (Italia)

Zsuzsanna & The Band ( Zsuzsanna Vàrkonyi - chant, accordéon, Csaba Palotai - guitare, Jeff Hallam - basse, Fred Norel - violon, Sylvain Lemêtre - percussions )

Alessandro Coppola de groupe NIdidarac ( Italia)

Soyez les bienvenus et venez nombreux !!!

deuxième document

lettre de fan

Chère Zsuzsanna,

vraiment félicitations pour ce concert. Nous avons assisté et je ne peux m’ôter de la tête que je dois écrire quelque chose à propos de ce concert si singulier. J’avais mis en ligne un texte sur un petit concert solo (plutôt duo avec Awena Burgess) en 2008. Mais c’était un texte inexpressif qui s’épuisait vite. Je me pose la question si je parviendrais à donner une certaine qualité littéraire à la chronique de ce soir. Déjà je suis ahuri de me permettre d’émettre un regard sur votre musique sans être épaulé par quelconque groupe de presse ou journal, depuis la position d’un esthète pure, et marginal par rapport aux courants d’opinion, et plutôt artiste peintre de profession, et avec pour langue natal l’espagnol. Je prends du café pour coucher sur le clavier les premières notes ou plutôt "phrases". Je vous remercie pour le merveilleux sujet de mémoire que votre concert m’a donné. Si l’envie vous vient de me livrer des suggestions ou des points à retenir vous êtes la bien venue.

Je profite pour vous inviter à connaître mon atelier, dont je vous donnerai l’adresse,

Cordialement,

M M

troisième document

lettre au journaliste Abelardo Munoz

Escucha a la artista que he estado escuchando hasta la medianoche en una sala contigua a casa, el Ermitage. Se llama Zsuzsanna Vàrkonyi y es quizas mi cantante preferida de las vivas. Tengo por algun lado un disco suyo. Puede ser que apenas tenga mi edad. Estoy escribiendo, de vuelta a casa, parrafos y mas parrafos que disuelvo en documentos blancos, porque no sé explicarme. Es muy fuerte, aunque delgada, su musica zingara no exenta de alta cultura y modernidad. Es el mejor folk posible en Europa, casi hasta hacer olvidar los viejos blues, que nos pillan en realidad de lejos. Solamente comparable a Camaron de la Isla. El enlace que te pongo es de un concierto anterior, al que no asisti. http://www.youtube.com/watch?v=BhNe_R8-MTM

poursuite de la poursuite

(une façon d’entreprendre une recherche dans la nouvelle musicale)

Je suis trop loin de la magie, elle a été fulgurante, dix mille pensées m’ont traversé, je n’ai pas pu m’empêcher de claquer les mains, de bouger la tête, de faire de grimaces et gestes invraisemblables chez un membre du public d’un concert. Ainsi j’ai signalé ma tempe d’un geste rotatoire quand Alessandro s’est trop emballé dans sa partie de concert. Sur le champ, ensuite, j’ai pris peur, je me suis dit : c’est un italien, il peut régler cela à coups de poing sur ma gueule. Mais j’ai osé le provoquer encore un peu enlevant mes lunettes, pour qu’il n’ai pas peur de frapper. Ensuite j’ai pensé à la lutte au couteau et là je me suis dit, carrément, j’ai un fils, je ne veux pas mourir de délicatesse par une question de musicologue ethnique, il faut que je prépare ce que je vais lui dire en italien :

document annexe

Caro pazzo, io diceba questo gesto per la mia moglie et la sua migliore amica. Io non faceba il gesto que per le due qui stabano con me. Noi siamo tutti qualque parte pazzi. Io non sono normale, io sono un povero pittore que tu ai veduto un puo artificiale nella sua apparenza ma lei a debuto intrare nel vostro concerto mostrando l’attestazione di mezzo prezzo. Io staba in costume per la donna qui faceba parte dei nostri megliore "Mécènes". Molti musici nel tempo hanno debuto si mettere in costume, e poi ritornare à la lora miserabile vita d’artisti degli aure. Ti prego di non uccidermi per la mia oppinione. La musica e un monumento de la libertà, et vuoi musici dobete mostrare il camino magnanimamente, graziosamente, come face la tua hospitalaria amica Zsuzsanna.

dernier document

My friend Jeff

C’est marrant comment il peut faire intello-timide tout à travers une poésie en anglais, chantée à la guitare, qui me fait penser à la consistance incommunicable de mon propre anglais, c’est à dire, à des pensées propres à ce que Severo Sarduy signalait comme la structure elliptique de la métaphore baroque, qui revient en Europe de façon radicale et indépassable chez Paul Celan. Mais c’est subjectif, ça ne veut pas dire que son écriture soit du Celan, non, il y a Ginsberg, mais soumis à une mythologie qui ne m’est pas étrangère et qui est dans l’air du temps, coagulée dans les paroles qui se succèdent quand Jeff chante.

Puis, pour finir avec l’accessoire, reprit Singet averti par les merles, les merles sempiternels, nous dirons l’intelligence courtoise et transmoderne du groupe Guappecarto, ayant pour protagoniste le violoniste, d’un lusus serius, un jeu d’or qui éveille toutes les puissances de la pensée.

Qu’en reste t-il encore pour parler de Zsuzsanna Vàrkonyi ?

Sa fidélité aux poètes, qu’elle met en musique avec le savoir d’un compositeur classique. Sa voix qu’on peut attribuer à l’ange parce qu’elle ne tombe pas, parce qu’il n’est pas d’affaire de nez, de gorge, même pas d’exercice respiratoire, mais de l’aigüe force des élements, de la terre quand elle frappe (ce "clay" ou argile dont parle Jeff), de l’eau dans la façon dont elle transmet dans les chansons anciennes la fluidité des lignages et des ancêtres, qui s’aiment et s’accouplent, tels les larmes et le visage du miroir, dans les carrefours des migrateurs, de l’air dans la diction claire et transparente d’une langue qu’on écoute presque comme si elle était écrite dans son sourire et dans ses mains, et le feu dans la chaleur avec laquelle on peut brûler ses propres souvenirs d’amour, ses propres angoisses de solitude, dans une malédiction qu’elle jetterait sur nous pour nous rendre toujours heureux.

Je pense qu’elle doit savoir quelque part que c’est grâce à elle et à sa musique que le monde est meilleur qu’il ne l’était. Moi je me rends compte quand je l’entends, en disque ou en concert, et je suis rassuré pour le jour de ma mort et pour les incertains jours de ma décadence.

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