mardi 8 juin 2010

New York par Eve Livet (2)

*
la planche 571 est neutre
c'est un cahier de notes aux USA
loin de la vision de fauve de la vie nocturne
des portraits de collègues
que tu n'as plus revus
mais qui sait ?
Tu me demandes : c'est "COCAINE" ?
à cause de la photographie première du rouleau
qui est un affiche persuasif
où un bel homme poli et sombre pointe
son court revolver sous sa narine gauche
sauf la photographie 12
où l'art néglige délibérément
la politique pour l'approche d'un romantique cimetière
toutes ces photos se voulaient des témoignages ou des notes
donc des visages de l'image à revenir dessus
des allusions
*

planche 570

STOP WAR

ou

WE SUPPORT THE TROOPS ?

j'ai besoin de lunettes ou de loupe

qu'est-ce que tu as fait de la loupe ?

ton regard d'artiste se pose sur cette épigraphie

dans la fugacité du mobilier urbain

puis des arbres

31 32 34 35 36

des tours 7 13 14 15 16 33 de Babel

des glaces de librairies

26-30

même les deux vues de la mer

21 et 22

sont des questions de détail

qui me semblent écrites

sur un contrat de banque, si je peux dire

mais le détail est gris

la miniature du gris est un signe

semblable à la présence de couleur

au sourire de la Gioconde

au milieu du peuple d'appareils photographiques

qui viennent l'embrasser de loin

comme la neutre courtisane

New York méprise les artistes amateurs

et les touristes

qui l'excitent trop avec leur innocence et leur flash

et vous conduit de la main à plein de réflexions philosophiques

dans son labyrinthe parsemé de peaux de zèbre

et de troncs de soldats ou d'arbres enfumés

on se laisse guider par ta promenade

Gioconde clignotante de ta planche contact

et nous sommes néophytes du musée

comme celui qui ne connaît New York

*
*
Je suis resté trop dans l'histoire
dans la jalousie du temps
et les planches 570 et 571
sont une écurie de beaux cadrages
sont la gymnastique de l'oeil
sont des constructions pour un autre temps
où ce pur-sang de caméra courra comme le souffle d'un rêve
sur le sujet vivant, sur la roche
sur le chemin de l'art
Everest de souffrance dans la noirceur du sel
anatomie de l'image qui justifie le hasard
le cheval du cadrage
dans la statue équestre du dieu
le regard éternel
du vampire
du tirage de laboratoire pour professionnels
du passe partout et la signature au dos
du numéro limité
le regard éternel
qui nous bombarde dans l'amour et l'orgasme
dans la mort et dans l'enfance
quand la lettre est un geste lent
comme l'arrêt du connaisseur
ou l'âge dans les doigts d'une main
toutes ces pensées qui courent dans l'oppression du cadrage
comme courent les heures inutiles du Louvre
ou de la statue de la Liberté et de ses obélisques fourmillants
les heures vampirisées par l'art
par la parole ou par l'oeil profond
des années qui passent sur ta valise prête

*

Tu lisais Le fou d'Elsa

quand tu prenais Grenade

sans le soupçon d'un grenadin

qui lirait le Matisse d'Aragon

et Les manigances d'Elsa Triolet

et qui ferait collection de tes prises de Grenade

*

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