mercredi 3 août 2011

Sur Dante XII (Dracula)





vita nuova


(vous vous êtes perdu(e) ? vous avez déjà lu ce chapitre et voulez passer plus loin ?
Il est vrai qu'il y a eu des annexes, des suppléments, et qu'on ne trouve
le chapitre suivant, le numéro 13... et bien, désormais il suffit de cliquer ici-même)


Ce qui est remarquable chez le Sandro Botticelli converti par Savonarola est l'absence d'une quelconque image, si l'on exclut les nombreux centaures, de tout "excrément" non chrétien dû aux premiers titubants chapitres de l'oeuvre de Dante. Il est bien vrai que Dante, quant au savoir philosophique grec, expédie dans un maigre inventaire une matière première que n'importe quel autre poète un peu moins maniaque aurait fait mousser adroitement. Mais Dante ayant conçu une oeuvre sacrée, certes cruelle, et son concitoyen le peintre repenti ayant conçu un projet qui viendrait à faire de la Divine Comédie un cycle monumental comme l'a été la vie de François d'Assis pour Giotto, l'ablation de tout ce qui ne relèverait de la pure doctrine la plus dénudée de mollesse était de rigueur.

Je ne savais pas pourquoi j'avais emporté avec moi, pour accompagner mes livres touchant à Dante, de loin ou de près, aussi le Dracula de Bram Stoker, et le récit que Dante fait des Limbes me montre une mise en abîme de la bibliothèque générique qui est aussi présente dans l'écriture parfois sarcastique ou sournoise de Stoker. Je traînais une valise de livres dans une clinique, déjà plombé dans l'inattention pour toute lecture, craignant à tout moment qu'ils se perdent, ne sachant quelle serait la durée de mon séjour... et c'est un peu dans cet empressement d'une issue, d'un abandon, que Dante passe en revue, confié peut-être à une mémoire engourdie, toute la philosophie ancienne, à travers ses morts...

Voyons d'abord Dante :


Poi ch'innalzai un poco piu le ciglia,

vidi'l maestro di color che sanno

seder tra filosofica famiglia.

Tutti lo miran, tutti onor li fanno;

quivi vid'io Socrate e Platone,

che 'nannzi alli altri piu presso li stanno;

Democrito, che'l mondo a caso pone,

Dïogenès, Anassagora e Tale,

Empedoclès, Eraclito e Zenone;

vidi il bono accoglitor del quale,

Dïoscoride dico; e vidi Orfeo,

Tullio e Lino, e Seneca morale;

Euclide geometra e Tolomeo,

Ipocràte, Avicenna e Galïeno,

Averois, che 'l gran comento feo.

Io non posso ritrar di tutti a pieno (...)




Il y a pas grand intérêt à le dire en français, la liste est assez sèche et éloquente. Tout tombe. Pour seule courtoisie le Limbe. Sinon, faut imaginer que ce n'est pas pour de prunes que Dante est perdu dans un trou au milieu d'une noire forêt. Situation analogue, non seulement à la mienne pendant la lecture, mais à celle du personnage qui vertèbre le Dracula, ce roman un peu trop présumé et peu approfondi de ses qualités "dialogiques", polyphoniques, puisque fait de documents (journal de Jonathan, journal de Mina, lettres, découpes de presse...). Voici ce que Jonathan Harker décrit être la bibliothèque du Comte Dracula :


There was absolutely nothing in the room, book, newspaper, or even writting materials; so I opened another door in the room and found a sort of library. The door opposite mine I tried, but found it locked.
In the library I found, to my great delight, a vast number of English books, whole shelves full of them, and bound volumes of magazines and newspapers. A table in the center was littered with English magazines and newspapers, though none of them were of very recent date. The books were of the most varied kind - history, geography, politics, political economy, botany, geology, law - all relating to England and English live and customs and manners. There were even such books of reference as the London Directory, the "Red" and "Blue" books, Withacker's Almanack, the Army and Navy Lists, and - it somehow gladdened my heart to see it - the Law list.


La suite à ce passage est très belle et peut arriver dans la vie, quand le Comte se plaint de savoir lire l'anglais mais de ne pas être capable de bien le prononcer. Plusieurs pages plus loin :


The lamps were also lit in the study or library, and I found the Count lying on the sofa, reading, of all things in the world, an English Bradshaw's Guide. (...)



Klossowski parle quelque part, soit dans Le Baphomet, soit à plusieurs reprises, des âmes perdues dans l'espace entre la Terre et la Lune. Stoker cite un vers allemand qu'il traduit tout de suite :

Denn die Todten reiten schnell

(For the dead travel fast)

from the Burger's "Lenore"


Je ne savais en lisant au jardin de la clinique, profitant de ma cigarette, d'un gobelet chaud de chocolat automatique et d'un passage fugace de concentration, assis à la table ou les patients se retrouvaient autour du gros cendrier, si me sentir déçu du manque de goût littéraire du Comte Dracula (son excellence...) ou si éclater dans un fou rire, tellement raffinée était la manoeuvre psychologique de Stoker.

Je profitais d'une camaraderie d'exception, les tensions qui peuvent avoir eu lieu ont été épurées et courtoises, dues surtout à mon malaise polymorphe. Mes compagnons étaient cultivés, usés à une mondanité bon-enfant, au luxe et à des sports raffinés. Leur folie est suffisamment atténuée par le savoir-vivre qu'elle est pour chacun digne d'en faire un roman. Mais leur discrétion m'a tenu loin de tomber dans la cupidité de l'écrivain. Une jeune femme en colère, balançant d'un coup de fureur le repas de midi, pouvait en même temps hurler des vers de Rimbaud parfaitement scandés par sa mémoire. Et, plus calme, redressant la vaisselle tombée, donner le titre, l'édition et la page. Je reste avec les dessins que j'ai fait, et surtout préfiguré dans ma tête tout juste, des belles patientes et infirmières dont je notais au crayon l'humeur changeante, toujours en douceur.

Ce qui est bon dans l'abandon de la folie est qu'au bout du calvaire l'on dirait que la chair, morte sans le savoir depuis un temps indéfini par l'oubli, par cet oubli qui nous a porté à l'enfermement, ressuscite, l'on dirait. Et la chair est surtout le sexe... non ? Mais, voyons, l'on ne sait de quoi il en est, ce sexe, qu'une fois qu'on l'a oublié et qu'il nous revient, tellement neuf qu'on dirait qu'il nous étonne comme les premiers orgasmes, ancrés fortement dans la découverte du corps... du corps faiseur d'images...

Pensons alors à relire le plus onirique et précis passage qui existe sur l'acte vampirique :


I was afraid to raise my eyelids, but look out and saw perfectly under the lashes. The fair girl went on her knees and bent over me, fairly gloating. There was a deliberate voluptuousness, which was both thrilling and repulsive, and as she arched her neck she actually licked her lips like an animal, till I could see in the moonlight the moisture shining on the scarlet lips and on the red tongue as it lapped the white sharp teeth. Lower and lower went her head as the lips went below the range of my mouth and chin and seemed about to fasten on my throat. Then she paused, and I could hear the churning sound of her tongue as it licked her teeth and lips, and could feel the hot breath on my neck. Then the skin of my throat begun to tingle as one's flesh does when the hand that is to tickle it approaches nearer - nearer. I could feel the soft, shivering touch of the lips on the supersensitive skin of my throat, and the hard dents of two sharp teeth, just touching and pausing there. I closed my eyes in a languorous ecstasy and waited - waited with beating heart.



Si l'on décèle les pauses, les temps morts, l'attente, chez Dante... au Purgatoire c'est l'essence même de ce qui est raconté. Mais le célèbre épisode de (Paolo et...) Francesca, à part de nous fournir un exemple de "coup de foudre supra-littéraire", s'embrasser sur les lèvres en lisant un roman, confondus lecteur et lectrice et même auteur dans un "kiss", "osculus", "baccio", "beso", "bisou", est l'épisode de la Comédie qui le mieux nous représente aussi un état semblable à celui de Jonathan Harker ci-dessus. Dante s'évanouit en écoutant la damnée, la belle damnée pleurer d'amour dans le tourbillon de la luxure :

La terra lagrimosa diede vento;
che baleno una luce vermiglia
la qual mi vinse ciascun sentimento;
e caddi come l'huom che'l sonno piglia.


Pardon, il s'évanouit tellement souvent que je me suis trompé. Je viens de citer son extase à la Porte de l'Enfer. Voici l'extrême de la luxure dantesque, le top of the pops de l'Inferno :



Quando leggemmo il disïato riso

esser baciato da cotanto amante,

questi, che mai da me non sia diviso,

la bocca mi baccio tutto tremante.

Galeotto fu il livro, e chi lo scrisse,

che'l giorno piu non vi leggemmo avante.

Mentre che l'uno spirto questo disse,

l'altro piangea, si che di pietade,

io venni men cose com'io morisse

e caddi come corpo morto cade.



La petite mort... ? Ouais... Tristia post coitum... ou comme raconte un titre de chapitre dans la Critique de la Raison Cynique de Peter Slotterdijk : Crépuscule post-coïtal... Tout un mythe... ou un arcane, un vrai secret de la Voie. Et que faire quand l'on n'a que des bouches à embrasser ? ou encore ceux qui s'ils ne serrent des mains, doivent juste frôler des joues ? Tout ça, ça existe. Lorsqu'un vagin convulse dans le pied, le Chi circule et l'on peut s'éveiller à l'art au lieu de s'assoupir, mais il n'y a d'autre à écrire que l'extase. Ha, ha, ha, je vais finir par écrire à la Roger Dadoun, là...

(avant de passer au chapitre XIII, ne soit que par superstition, je vous suggère de cliquer sur cette petite paragraphe sur Roger Dadoun qui s'ouvre au contact du parenthèse et la souris)


(cliquez sur cette ligne pour le premier annexe colorié à la craie)


(encore ici les annexes de la bibliographie)


(et aussi un chapitre XII'' (le dantesque) fait de desiderata, cliquant juste à cette ligne)


...

2 commentaires:

Susan Lenox a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Susan Lenox a dit…

Mejor escribo en castellano, soy amiga de Tessa, te invito a que te pases por mi blog, espero que te guste.

Un saludo.