mercredi 17 août 2011

Sur Dante XV (New Wave)




Chaque fois : plus tourné vers la construction imaginaire de la Comédie, et, en conséquence, vers les images aussi-bien dues à la plasticité des mises en abîme littéraires, que vers des images picturales concernant de près ou de moins près le dantesque - ce qui me relie à mon occupation effective d'artiste peintre.

J'en ai eu toujours besoin de prétexter un ambitieux travail en cours pour lever l'interdit de ma paresse (fatigue) et "lire" un livre qui peut et doit d'ailleurs déjà m'intéresser. Cela m'arrive même pour le cinéma ou pour la simple impulsion d'ouvrir un livre de peinture et m'autoriser à poser les yeux sur les planches. C'est grâce à cet stade maniaque que ma perception de ce qui existe en Art est débloquée. Ainsi va pour Botticelli.

J'imagine Céline Minard dans une disposition analogue. Elle et moi aurions appartenu aux mêmes temps, malgré la coïncidence chronologique. Que ce soit Olimpia, ou l'édition de luxe de Bastard Battle, ça ne fait que me replonger dans la manie.

La concubine du pape, suspectée d'agir en papesse, qui supporte avec la même passion de certitude les oeuvres d'art, les chiffres des banques, la messe et le sacrifice à fortune quartier Forcella d'un bouc... qui sait faire apparition, se retirer la rage au corps, mettre à mort, mettre à mort surtout pour l'écriture qui suppose toute malédiction longuement méditée.

La traduction de son Olimpia en anglais ne pourra jamais rendre l'inouï des malédictions qui dressent un simulacre de récit tout au long de la première moitié d'Olimpia, ils en ont tellement l'habitude d'en entendre la pacotille des Mormons, Témoins de Jéhova, Evangelistes, les Davidiens du :

19 avril 1993, H.Vernon Howell change son nom en David Koresh ( pris à la Bible et au roi des Perses). Il entre chez les Davidiens (filiale de l'Eglise Adventiste) en tuant le fondateur à 67 ans et en séduisant sa femme. Il rassemble 3.500 disciples. L'élite se réfugie au Texas (USA) à Mount Carmel à Waco. Le siège dure 50 jours : 4 policiers tués, et 16 blessés, 86 suicides par le feu, dont 27 enfants et 17 de moins de dix ans.

...il faudrait carrément un terrorisme messianique, à drapeau noir, de la part des juifs français, pour qu'il puissent faire le lien avec l'intonation anachronique de Minard.

Off de La France, je sais... donc, pas très "italien", n'est-ce pas ?

Tout en maniaque, je fais défiler pour une statue à venir, toutes les femmes écrivains d'Athènes. Donc, je pousse le jeu de l'identité dont il était lieu dans l'Enfer médical et de services secrets quand je citais Naked Lunch, soit le miroir cannibale de la "cover story"...

Je fait "scroll" dans la tour de livres du capharnaüm qui s'approche du lit, je redécouvre Kathy Acker...

Voyons un "intuarsi" / "inmiiersi" dantesque dans le rapport S/M :

Don Quixote, wich was a dream, K.Acker (1986)

"Each time I whip you, tell me the number of the lash, so your pain is continuously what you want."
"One."
"Two."
"Three."
"Four."
"Five."
"Six."
"Seven."
"Eight."
"Nine."
"Ten." Aferwards, she looked up at me in a way that I recognized, for I had looked up to her before the same way.
'Being for asplit second mirror of each other, we had to be other than we were.'

La suite est la fusion unitive. Il est fait mention explicite et emphatique de l'Amour.

La mauvaise herbe de mes connexions électriques, qui communiquent Paradis et Enfer, par le fil de cuivre du Purgatoire, par son dosage et son fréquent surdosage, me font concevoir que c'est la muse, Béatrice, qui tourmente les corps masculins de l'Enfer, qu'elle est l'Intellect Agent des hiérarchies démoniaques, de tous ces poilus, griffus, aux ailes de chauve-souris, dans sa méditation, notre Béatrice.

Cela explique que Botticelli ait pris la peine de détailler et de rendre anatomique chaque Cercle, chaque énumération de gens dépassés, même si voisins de sa propre ville, parfois, Florence. Il y en a de l'insaisissable jouissance de (Béatrice au Paradis), Simonetta Vespucci dans sa tombe au panthéon de la Pittura.

Le sadisme, l'envie de faire le Mal, nécessaire au fonctionnement de l'Enfer, ne pouvaient être expliqués par Dante, qui les avait refoulé et exprimé par le symptôme qu'est le discours idéologique, l'illustration, la bassesse... Elle ne pouvait depuis le dolce stil nuovo, depuis la fadeur stricte de Giotto, avoir lieu à la Florence du Quattrocento qui viendrait (Uffizzi - Savonarola - Botticelli...). Mais suite à l'apparente incontestable de Giotto, un personnage (réel) du Decamerone de Boccaccio, se tourne vers la vitalité et les encore nouvelles trouvailles des quelques "gothiques" italiens, tout en restant tous de "primitifs" - juste ce que si vous osez être un primitif gothique, vous passez à une catégorie bâtarde - ils sont des personnages qu'on trouve comiques, mais parfois, quand quelqu'un comme ce bruyant Buffalmacco réussit une oeuvre monumentale, exilé de Florence, à Pise, avec les fresques du Triomphe de la Mort, Jugement Dernier, Thébaïde... les courtisans à tout-écrire daignent se souvenir de leurs blagues et de leur physionomie... Le gothique : expressionnisme rétro (avant la lettre), du moins à la Renaissance Italienne dont il est question. J'ai commencé tôt, avec mon manifeste, donc.

Les brissures du Gothique auraient enthousiasmé le jeune Burckhardt. J'ai reçu comme le Satori d'un coup de poing sa description de la case départ de la Renaissance :

"Ce prince (Frédéric II), qui, dans le voisinage des Sarrasins, avait grandi au milieu des trahisons et des dangers de toutes sortes, s'était habitué de bonne heure à juger et à traiter les choses d'une manière tout objective : il est le premier homme moderne sur le trône. Ajoutez à cela la connaissance exacte et approfondie de l'intérieur des Etats sarrasins et de leurs administrations, et cette guerre avec les papes dans laquelle les deux partis jouaient leur existence, et qui les forçait tous deux à faire appel à tous les moyens et à toutes les ressources imaginables (!). Les mesures prises par Frédéric (surtout depuis 1231) tendent à l'établissement d'une autorité royale toute-puissante, au complet anéantissement de l'Etat féodal, à la transformation du peuple en une multitude inerte, désarmée, capable seulement de payer le plus d'impôts possible. I centralisa tout le pouvoir judiciaire et l'administration, d'une manière jusqu'alors inconnue dans l'Occident. Il défendit de nommer aux emplois par la voie élective ; les villes qui se permettaient de recourir aux élections populaires étaient menacées de dévastation, et leurs habitants devaient perdre leur condition d'hommes libres. Les contributions, basées sur un cadastre (...) Ici on ne voit plus un peuple, mais une foule de sujets sévèrement contrôlés et tenus, qui, par exemple, n'obtenaient le droit de formariage qu'en vertu d'une permission spéciale, et à qui il était absolument interdit d'aller faire leurs études hors de chez eux (...)"

Jacob Burckhardt, La Civilisation de la Renaissance en Italie, (1860)

L'Histoire est le phallus, ou les testiculaires sphères pleines de semence des orbites de notre vision, l'historien Burckhardt semble poser le tapis rouge et noir pour la traversée de l'ambition d'un Ezra Pound, d'une Céline Minard (qu'est-ce qui me prend ???)...

De toute évidence, une autre construction de l'avenir est possible, une autre "vie future", bien opposée au prude Dante. Cavalcanti, lecteur de Lucrèce, mais pourquoi pas de Sexto Empirique, comme Montaigne? Puis sur le plan plastique un suspect d'influence gothique tel l'aventurier et pittoresque auteur des fresques du Camposanto de Pise. Le titre de Triomphe de la Mort est commun avec un Brueghel au Musée du Prado, à Madrid, ainsi qu'à un roman de Gabrielle d'Annunzio, à part d'être le chef-d'oeuvre pictural stigmatisé d'un auteur, tenu pour anonyme, qui n'a pu être reconnu qu'à travers les travaux de Luciano Bellosi.

Voyons les événements de la "vie future" que Buffalmacco oppose à Dante : Triomphe de la Mort, Thébaïde, .Jugement Dernier et son annexe, ce qui fait quatre, l'Enfer lui même (ou l'Enfer est un grand animal, une bouche ouverte en flammes, dentée...) Bien plus vitale que les pléromes bureaucratiques et le jeu pour passer des écrans et obtenir des bonus qu'est la Comédie, avec aussi trois Livres... Juste des escaliers et de portes à frapper, des queues à faire...

Et là vous avez les derniers chevaliers, nobles et humains, deux hommes et une femme, qui échangent des regards et se couvrent le nez devant la putréfaction des corps dans leurs cercueils et ses trois degrés, disposés telle un schème du pourquoi la "vie future" est ici soumise à critique, tout en la peignant. Les chevaux eux-mêmes (passionnément gothique) dressent leurs narines dilatées et leurs dons de liberté. Les esprits qui échappent des cadavres entassés plus loin dans la composition ne sont que des rêves dans la plus pure et baroque tradition empirique des pharmaciens, des ivrognes...

Il est permis de tout rêver, des chimères d'obscénité tout comme des plaisantes sirènes... la conscience ou triomphe de la mort accorde ça au peintre et aux vivants qui sont peints, sans vie autre que nos rêves à nous...

Scientologie :

(Je tire quelques unes de ces références
d'un entretien juteux avec le psychanalyste Thierry Lamote,
sur l'Humanité du 22 juillet 2011)



Comme dans un squatt, à la deuxième partie de Dalla$... ? Elles font penser aux délires de Hubbard sur Xenu, les doctrines sécrètes du squatt, et l'on trouve des expression du clivage initiatique des scientologues, telle celle de "raw meat". La chose semble simple, dans la succession des espaces, galerie d'art... autoroute... bûcher des cannibales... minable clinique à piscine... puis, à un autre cycle : le squatt. Sortir, rentrer, être parfois ailleurs... dans la rue, ou quelque part... La Résistance sans théorie, puisqu'il n'y a pas de théorie pour la mutation, pour le cyborg adolescent de la New Wave... La bouche cosmique de Satan n'a pas besoin de ses rangées de crocs, le maudit se mâche lui-même (je pense que Dante note cela avec la froideur d'un Krafft-Ewing avant la lettre). L'autodestruction est le vrai emploi du prolétaire, après Auschwitz...

M.-A. Michel, Les Bombardiers,
deuxième partie de Dalla$ (2011) :

18

"Les Mistress écossent des haricots au milieu du vacarme des animaux et des enfants qui courent entre leurs jambes. Mistress LaLune et Mistress Soleil, tour Z5.
Silas offre le bouchon du Château-Jasmine à Mistress LaLune. Elle fait une passe dessus, le renifle, éclate de rire. Mistress Soleil le renifle à son tour et éclate de rire. Deux masses bâchées se tenant le ventre pour rire plus à l’aise.
Les enfants, arrêtés dans leur course, se tiennent le ventre et rient aussi.

Le bouillon de poulet des Mistress sent la citronnelle. Lee en a bu deux bols; elle parle à ses doigts devant un public d’enfants captivés.
Mistress LaLune mouille ses lèvres et appelle Silas « ‘ti mignon ». Mistress Soleil bat des cils et l’appelle « joli zoizeau ».
Au fond de son verre, rhum et citron vert et sucre de canne fondus en sirop..
Des coqs se battent, encouragés par Ranko. Les grains de sucre imprégnés de rhum craquent sous la dent. Les Mistress écossent les haricots. Le passeur arrivera maintenant ou tout à l’heure.
Mistress LaLune mouille ses lèvres: « Si t’étais mon croque-caramel, garçon Silas »
Mistress Soleil bat des cils: « Si t’étais mon ‘ti cherche-maman, garçon Silas… »

Le passeur arrive, l a belette. Son visage est un poing, son corps toujours sur le départ. Il entre avec réticence, ressort aussitôt reçues les consignes, enjambant des gosses qui se cassent la figure à essayer d’imiter sa façon de marcher."

Le fantasme le plus ethnique du paranoïaque, dont Hubber lui-même, est le cannibalisme, qu'il soit tout juste contenu dans la brutalité régressive du mensonge, tel les multiples appareils auxquels il faut croire, ou dans la régression anale de l'asservissement au capitalisme par le plaisir et sa pulsion de Mort. Pas d'échappatoire dans le squatt. Reste le temps de la première partie, avec les changements de plans qui nous forcent à retenir la violence qui jaillit de notre noyau de poix.

Et les haricots ? une subtilité diététique ? je songe à la "Premonition de la Guerre Civile" de Salvador Dali.

Ouvrir des portes, frapper à des portes fermées... Faire voir d'autres choses, changer d'axe... Si nous somme tellement à la merci d'un réductionnisme à la Quine qui nous aplatisse sur notre propre porte, qui nous crucifie sur notre porte verrouillée.... et l'on songe à ces femmes au triple pli et aux seins débordant toute sphère qui s'accoudent au seuil des portes, qui, sculptés sur les façades des temples shivaïtes, semblent entrouvertes...

Les trois yoginis en basalte du Xe siècle du Musée Guimet, une très jeune, l'autre encore féconde, l'autre mûre mais tonique, portent des crocs comme ceux des films de vampires. Ses seins sont du domaine du pornographique, ses mains instruisent dans le paganisme et ses raffinements, elles sont censées présider et guider à la délivrance... Ah, oh, alors... c'est les tziganes qui ont apporté de l'Inde tout ça en Transylvania !!!


Sinon, toujours à propos de la porte - à commencer par celle de l'Enfer devant laquelle Dante se prosterne soit s'évanouit - il y a un drôle de passage dans le Theater of incest, d'Alain Arias-Misson, où le narrateur est dans une torride empoignade de sexe et chantage avec sa mère, et, quand il va sortir de la chambre, elle lui dit :

(...) quelle porte ? tu ne vois pas qu'il n'y a pas de porte ?

(puisque je parle du Theater of incest, voici, parmi d'autres, les dessins au crayon et à l'encre japonaise qui m'a inspiré une soirée à le lire à l'atelier)

(voici sinon un "link", lien avec le prochain chapitre
de la rédaction, est-ce une porte, un pont, un passage ?

Soit tout juste une persévérance qui serve à notre traversée
du fantasme : cliquez pour aller au XVI, merci)

...

2 commentaires:

Marie-Agnès Michel a dit…

Puissant
Puissamment cultivé
Puisses-tu continuer sur ton envolée

Manuel Montero a dit…

J'ai oublié de redonner le lien, mais je crois que c'est bien voyant le transblog et que sur F4 (voir "links") qui est repertorié, il y a l'achat en ligne qui est activé, pour ton roman que je viens de citer. J'apprécie tes mots, merci, Marie-Agnès.