mardi 17 janvier 2012

Le Purgatoire (3)



...

Quatre heures du soir. La nuit plonge enfin dans le noir. La poésie se délie dans l'atmosphère du pensoir. J'ai peint, j'ai enregistré ma voix sur des pistes sonores. Je me suis conduit sous tous les blasons de l'ignoble. Reste à faire le vrai travail. La faute est la purgation première du pénitent. N'importe quel crime de la pensée peut et doit l'occuper à l'entrée de la nuit. Ensuite la folie lâche.

How, my dear Mary, are you critic-bitten

(For vipers kill, though dead), by some review,

That you condemn these verses I have written,

Because they tell no story, false or true !

What, though no mice are caught by a young kitten,

Till its claws come ? Prithee, for this one time,

Content thee with a visionary rhyme.

Qu'est-ce que tu n'es, Marie, mordue par les critiques

(les vipères tuent, raide mort), par quelque revue,

Que tu brûles ces poésies à peine lues, rachitiques

et sans histoire, prisonnières du doute et de la boue !

Que, malgré que les chatonnes n'attrapent souris, morpions ni tiques,

que quand leurs ongles ont durci ? Je t'en prie, pour mon absence,

contente toi du justificatif d'une vision dépourvue de nuance.

What hand would crush the silken-winged fly,

The youngest of inconstant April's minions,

Because it can not climb the purest sky,

Where the swan sings, amid the sun's dominions ?

Not thine. Thou knowest 'tis its doom to dy,

When day shall hide within her twilight pinions,

The lucent eyes, and the eternal smile,

Serene as thine, which lent it life awhile.

De quel doigt s'écrase la mouchette soyeuse,

la plus jeune d'Avril et ses mignonnes inconstantes,

parce qu'elle ne grimpe le ciel, ni la pureté de la chose,

où copule la voix du cygne et fait signe la planète ardente ?

Pas tes doigts. Tu connais la coupole où meurt cette rose,

Quand le jour doit se fermer dans les pignons ouverts et les amandes béantes

de son regard sans temps, et son sourire serein comme le tien

ressemble à la vie que tu as donné à l'aimant d'une jeune aimante.

Il n'est pas humain de poursuivre la traduction ce soir. Je vais devoir descendre les livres qu'un ami et moi avons entassé sur mon canapé pour pouvoir accrocher un tableau récent et le faire sécher au mur. Je crois que je n'ai pas le choix, je dois dormir ne soit qu'une demi heure.

Dormir ou dire ce que j'ai dans le coeur ? L'écrire sur les murs des honnêtes maisons. A leur réveil tous seront au fait de ma folie, et l'on fera mine que la vie se poursuit. Un autre exhibitionniste, un autre qui va pas bien, qui dirait autre chose si je n'avais pour excuse d'être traducteur de Shelley dans une recherche sur le Purgatoire au sein d'un projet pictural-théâtral-cinématographique basé sur des textes surréalistes dont le titre et l'usage ont été collectivement abolis, et que de ma part j'appelle le Nord ? Ouais, mais quel mauvais goût, quelles nuits d'enfer, non ? Votre mobile qui sonne avec chacun de mes états d'âme, qui se veulent rusés, tactiques, séducteurs, quand vous avais le plus besoin de paix, ne soit que physiologique. Je vous ai dit que je brûle pour vous ? et que ça fait beaucoup de fumée ? que mes sorties d'humour sont le plus pathétique des désespoirs ? que je suis à présent en train de vous faire encore une scène ? Du Corneille, m'avait on dit... A quoi bon ce manque de discrétion ? mais sinon, le théâtre serait du journalisme... va savoir. Je vous fait confiance, c'est vos mains, vos yeux, vos lèvres qui ont servi à ma folie, donc, confiance faite, elle en est, ma folie, dans de bonnes mains, sous un regard qui leur accorde la bonté, et dans la bouche de la sagesse.

Impossible de rester. Dans le métro, après des rames profondes, des grisettes parfumées au déodorant, paradoxe de la coquetterie, m'éveillent un peu. Je prends déjà conscience que je reste un fauve. Ensuite le vieux mendiant en djellaba semble être plus souffrant que jamais, sur les marches froides de la sortie, ce début janvier. Un tournant qui semble l'emporter, je lui donne ce que j'ai sur moi comme si je déposais une fleur sur une vieille tombe. Son geste de fatigue et de compassion pour la bêtise absolue de mon don.

(une tentative de poursuivre l'écriture sur ce lien, cliquez svp)

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