dimanche 9 novembre 2008
Le grand Botellon (mini-roman)
Je suis de plus en plus convaincu que la radio ment. La radio de droite ment aux gens de droite, la radio socialiste ment aux pauvres gens de gauche, en Espagne comme ailleurs. Même la musique est une mensonge. C'est pour cela que les jeunes ont de plus en plus envie de gueuler sur la ville de Grenade. De s'enivrer jusqu'à la nausée et faire le jeu de l'amour sous une musique étourdissante. Ils affluent au centre ville des jours signalés et ils accomplissent le chaos. Cela s'appelle en Espagne un jour de "botellon", à cause des bouteilles cassées de partout qui restent le lendemain. Les lettres à la rédaction des journaux s'accumulent, avant et après chaque jour signalé, au nom de la pudeur, du silence, et d'une conception étroite du civisme. Heureusement de tous les coins de la jeunesse on assiste à la fête et se mélangent riches et pauvres, coincés et défoulés, dans une sorte de protestation contre tout.
L'impossibilité de bouger en voiture ces jours-là, qui sont parfois, à l'origine, des fêtes religieuses catholiques fériées, est la moindre des choses, l'on ne peut pas non plus traverser le centre ville à pied si l'on ne se laisse emporter par l'ivresse pour trouver soi-même son chemin. La vie est courte, ils ne font qu'en profiter, peut se dire le vieux espagnol au fond de son insomnie. S'il était au fond sévère, ou maître des choses, toute cette suite d'événements serait déracinée par la peur du flic, comme en France.
En fait, les jeunes gueulent et vomissent dans leur folie collective au nom de toute la société. C'est pour ça que ce jour-là, l'hirsute fêtard peut monter sur une majestueuse fontaine pour mieux s'entendre chanter. Et tout s'enchaîne. D'un balcon en face une belle blonde enlève son T-shirt et montre ses seins à la foule dansante et à l'hirsute sur le pinacle. C'est vrai, ce coup là plusieurs personnes me l'ont confirmé, et ce n'est rien en égard de l'ensemble. L'excitation transperce les demeures les plus cachées et, moi-même, en train de peindre la nuit à mon atelier, je suis entouré de leurs rires vivifiants, de leurs cris de fauves.
Ce sont de longues nuits où même les jeunes catholiques consomment des drogues, et les déguisements les plus luxueux qu'une espagnole ou un espagnol peuvent se permettre sortent du placard pour se faire tacher de partout par des éclaboussures d'alcool. Moi, j'ai tendance à être inspiré pour peindre ou lire et je fais juste des passages dans la foule pour sortir et rentrer chez moi avec des prétextes futiles, mais significatifs, comme acheter du Red Bull pour avoir de l'énergie à peindre, ou des cigarettes pour mon anxiété.
Je suis un homme privé par dessus tout, et tout se passe dans l'intimité de l'atelier. Mais des choses arrivent toujours ces jours de bouteille. Il y a pour tous un degré de plus dans l'initiation de l'univers. Les hommes en ville ne se voient pisser ou vomir ou chier ou même danser que dans des lieux clos. C'est ma propre théorie du jour de la bouteille, que je rédige en français pour pas gâcher la fête aux Espagnols, qui l'ont depuis longtemps assimilée. Il y a un côté initiatique dans cette vision réciproque de l'autre dans son état qui serait le plus animal.
La jeunesse est joyeusement vulgaire, jusqu'au comble de la nuance et de la délicatesse. Je ne suis pas assez aigri pour leur reprocher cela. Moi aussi je peux écouter en boucle une musique complètement idiote, en fin de compte c'est ça qui fait que je suis peintre et non professeur.
Une facilité à saisir l'instant, un temps intensifié, s'établit le jour de la bouteille et sa nuit. L'on sait plein de choses sans presque faire d'effort. Je montais la pente qui mène à mon atelier, après minuit ou dans un temps où quelque consécration venait déjà d'être réalisée, les motos traversaient ma rue à toute vitesse en sens interdit, et j'ai aperçu les deux jeunes femmes au moment de sortir mes clés. Leur tenue imitait celle de Madonna mais leur art qui excellait dans le parler espagnol m'ouvrit l'intimité d'un genre de femme toute familière. Un peu la belle cousine que tout Espagnol a. Elles étaient nettement plus jeunes que moi, mais leur grand sourire impatient me montra que j'étais encore un gamin pour elles. Elles étaient nonobstant un peu occupées, puisque elles étaient en train de chier à ma porte. Nous nous sommes dit bonsoir, je leur ai demandé, médusé de leur jolie ivresse et de l'étron qu'elles déposaient devant moi, si tout allait bien. Oui, ça va, et j'étais en train d'ouvrir l'atelier. Tacitement l'on faisait partie de la même fête et la notion de que je puisse être dérangé de leur caca chez moi était exclue. Aussi, étaient-elles confiantes de leur beauté et de la sympathie régnante. Je leur aurais demandé de me chier sur le visage qu'elles n'auraient eu d'inconvenance, amusées à le faire.
Je rentrai à l'atelier, fermai la porte doucement, me suis mis à boire mon Red Bull, à fumer mes cigarettes, et j'ai peint un tableau à l'huile jusqu'au lendemain, où ce furent les cloches des nonnes du couvent à côté qui m' envoyèrent dormir sur le canapé.
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