samedi 19 avril 2008

concert de Céline Camus (ma théorie bilingue)

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Ce soir je retrouve un morceau précieux de mon éducation sentimentale; poli par le Temps, comme du vieux bois, amélioré comme le sont pour Tanizaki les vieilles théières avec des craquelures et des cernes de tanin. Ce morceau est musical.

Esta noche vuelvo a encontrar una pieza valiosa de mi educación sentimental; pulida por el Tiempo, como madera antigua, mejorada como lo están para Tanizaki las viejas teteras con sus craquelados y sus posos de tanino. Esta pieza es musical.

Il pleut, Paris s'entête, dès que la nuit fait céder le soleil, à nier l'émergence du Printemps. Je suis dans la trentaine, encore un chat de gouttière. En tant que peintre je laisse mes cheveux mal peignés, dressés vers le Haut comme décrit Cesare Ripa l'image allégorique du peintre. Je suis allé en tout cas avec une chemise à rayures roses sous ma veste au concert de Céline Camus, près d'où j'habite.

Llueve, París se empeña, desde que la noche hace ceder al sol, en negar la emergencia de la Primavera. Estoy en la treintena, todavía un gato asilvestrado. En tanto que pintor dejo mis cabellos despeinados, de punta hacia lo Alto como describe Cesare Ripa la imagen alegórica del pintor. Fui en todo caso con una camisa de rayas rosas bajo mi chaqueta al concierto de Céline Camus, cerca de donde vivo.


Elle commence avec une chanson qui dit qu'elle a la tête de son père. Heureux ceux qui comme Jésus perdent la timidité au Nom du Père. Je suis pas spécialiste donc je peux pas vous dire si c'était du rythm'n-blues ou du rock. Elle a une forte gestualité, avec déjà deux ou trois manières à elle, et je songe à lui proposer de faire son portrait.

Céline empieza con una canción que dice que tiene la cara de su padre. Felices aquellos que como Jesús pierden la timidez en el Nombre del Padre. No soy especialista así que no puedo decirles si era rythm and blues o rock. Ella tenía una fuerte gestualidad, con ya dos o tres manierismos propios, y fantaseo proponerle posar para un retrato.

Ses yeux, noirs et très ouverts, fixant les uns et les autres au fur et à mesure des phrases, étaient ceux du père.

Sus ojos, negros y muy abiertos, fijándose sobre unos y otras conforme cantaba cada frase, eran los del padre.

Elle a chanté des chansons d'amour, bien rythmées par le joueur de guitare électrique, nuances féminines décidées et sans rancidité, courtoises, et, dans le cas de la guitare une allégresse masculine désinvolte et maline. Jusque là le début de la transe (discrètement agencée); puis la catharsis, comme si elle nous poignardait : elle se met à parler de la banlieue, de la violence, des heures à attendre le RER dans le froid... et chante.

Cantó canciones de amor, bien sincopadas por el guitarrista. Matices femeninos decididos y nada rancios, corteses, y, en el caso de la guitarra eléctrica una euforia masculina desenvuelta y maliciosa. Hasta ahí el principio de la entrada en el trance (discretamente agenciada); a continuación la catarsis, como una puñalada: se pone a hablar del extraradio, de la violencia, de las horas esperando el RER en el frío... y canta.

Quand elle revient sur des chansons d'amour je suis déjà abstrait dans une lourde méditation qui ne m'empêche pas de bouger pas mal au gré de la musique, mais qui me fait visualiser les origines de notre culture. Je visualise la tête d'Orphée, séparée par l'acte de la danse du corps du premier musicien, et la cruauté féminine sacralisée par Euripide, comme punition de l'impie; la terreur est contenue dans ces chansons de banlieusarde mesurée dans le creux d'une nuance. C'est comme-ça que la pensée, séparée d'abord des sens par l'accomplissement de la parole chantée, peut rester suspendue dans une espèce de paradis ou sanctuaire.

Cuando vuelve a las canciones de amor yo estoy ya abstraído en una pesada meditación que no me impide moverme ágilmente al hilo de la música, pero que me fuerza a visualizar los orígenes de nuestra cultura. Visualizo la cabeza de Orfeo, separada por el acto de la danza del cuerpo del primer músico, y la crueldad femenina sacralizada por Eurípides, como castigo del impío; el terror está contenido en esas canciones de arrabalera pulida en el hueco de un matiz. Es así como el pensamiento, separado primeramente de los sentidos por la consumación de la palabra cantada, puede quedar suspendido en una especie de paraíso o de santuario.


Mon ami en Espagne, R.d.P., est musicologue véritable, et il rirait de cet exercice de style, s'il riait déjà un peu, quand j'ai fait son portrait, de ma manière byzantine et barbare d'incruster des coups de pinceau bleuâtres dans son visage. Et en dépit de cela, venant d'entendre chanter Céline Camus, je sens les grands mythes de la musique à la portée de mon entendement modeste. Je crois qu'il s'accomplit que de l'écriture on arrive à la peinture, et par celle-ci à la danse, et que la danse porte dans soi le rythme et la chanson. Quand Céline chantait ce soir, je n'arrêtais pas de sauter dans ma petite loge en velours rouge.

Mi amigo en España, R.d.P., es musicólogo de verdad, y se reiría de este ejercicio de estilo, si ya se reía un poco cuando lo retraté, de mi manera bizantina y bárbara de incrustarle pinceladas azules en el rostro. Y sin embargo, después de oir cantar a Céline Camus, siento los grandes mitos de la música al alcance de mi entendimiento humilde. Yo creo que es un hecho que por la escritura se llega a la pintura, y por ésta a la danza, y la danza presupone el ritmo y la canción. Cuando ella cantaba hace una hora y media, yo no paraba de moverme en mi palco.

Par ailleurs, le premier traité qui a été rédigé à la Renaissance sur la danse, simultanément aux essais de kabbale chrétienne ou platonicienne de certains humanistes, est le De arte saltendi et choreas ducendi : donc la musique et la chanson nous font sauter.
Mais je reste trop froid, et peu précis. Il s'agit de rendre compte du fait: une musicienne dont le principe de réalité est capable de rendre EFFICACE (pour quel but ? C'est là où je veux arriver) chaque chanson.

Justamente el primer tratado redactado en el Renacimiento sobre la danza, simultáneamente a los ensayos de cábala cristiana o platónica de ciertos humanistas, es el De arte saltendi et choreas ducendi: así pues la música y la canción nos hacen saltar.
En verdad todo esto es frío, y poco preciso. Se trata de constatar un hecho: una cantante cuyo principio de realidad es capaz de hacer EFICAZ (¿para qué fin? A eso quiero referirme) cada canción.

Récemment, ce dernier cinq d'avril, quand j'ai exposé et animé un débat au Salon de Joanna Kaluzinska, mécène et psychanaliste, on était parvenu, une jeune psychologue et moi, à une discussion dans l'escalier, puisque c'était là qu'on pouvait fumer, qui mettait en relief une mésentente de fond : celle de mettre sur le même plan, bref de prendre l'une pour l'autre, catharsis et sublimation. Pour résumer j'ai postulé que la catharsis découlait d'une économie de l'oeuvre artistique, et la sublimation d'une économie de la vie de l'artiste lui même, et aussi de son public : ce que Deleuze aurait appelé un agencement. Et bien, ce petit essai, si prétentieux soit-il par rapport au domaine musicale, est un exercice d'agencement (voir un essai de sublimation) : Céline Camus mérite qu'on écoute ses chansons, à la banlieue et à Paris, et qu'on sache respirer la subtile légende qui se dégage de ses mises en scène.

Recientemente, este cinco de abril, cuando expuse obra mía y animé un debate en el Salón de Joanna Kaluzinska, mecenas y psicoanalista, habíamos llegado, una joven psicóloga y yo, a una discusión en la escalera, ya que allí era donde se podía fumar, que ponía de relieve un desacuerdo de fondo: el de poner en un mismo plano, o sea el de tomar a la una por la otra, catarsis y sublimación. Para resumir, postulé que la catarsis tenía que ver con una economía de la obra artística en sí, y la sublimación tenía que ver con una economía general de la vida del artista y de su público: lo que Deleuze habría llamado un agenciamiento. Pues bien, este pequeño ensayo, por pretencioso que sea respecto al ambiente musical, es un ejercicio de agenciamiento (véase un ensayo de sublimación): Céline Camus merece que se escuchen sus canciones, en el extraradio y en París, y que se sepa respirar la sutil leyenda que se desprende de sus puestas en escena.

Je sais qu'elle va chanter coté Pigalle dans la mi-mai, mais j'ai pas noté, veuillez chercher de votre coté : http://www.myspace.com/celinecamus

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