Le wake
Manuel Montero
Le Wake de Joyce ne peut être lu par moi qu'en tant qu'oeuvre "italienne". La littérature anglaise ne me suggère pas grand chose, et encore moins si elle est écrite par un irlandais. Qu'est ce que veux dire l'Irlande ? C'est plutôt confus.
Deuxièmement je me refuse au chantage de ne parler de Joyce qu'à propos de son Ulysse. Il ne peut échapper à personne que c'est une autre sorte de "Madame Bovary" et j'ai toujours trouvé d'un opportunisme pestilentiel le présumé chef-d'oeuvre de Flaubert. J'ai une certaine affection pour sa "Tentation de Saint-Antoine", et si j'avais à dire du bon de Flaubert je ne le ferais qu'à propos de celle-ci. Pareillement pour Joyce je ne peux bien parler que si je ne me remets à la lecture du "Finnegan's Wake".
Enfin, pour ne pas laisser comme un mirage le constat de la filiation italienne du Wake, je vous remets à l'ensemble de réflexions, citations, confidences, et traductions qui suivront et que, quelque part, vont viser toutes à démontrer cela. Il n'y a d'autre propos pour cet essai que d'arriver à rendre évident que le Wake appartient à la tradition italienne. L'erreur est un vigoureux moteur d'invention littéraire et même religieuse, comme le montrent les recherches de Michel Tardieu sur le syncrétisme et celles de Jurgis Baltrusaitis sur les aberrations.
Le baroque apparaît en littérature comme une réponse extrême et un dépassement du rachitisme et la paralyse présumés ou réelles du maniérisme. Nous n'allons pas juger de la justice de la prise de parti baroque, simplement je crois opportun de signaler qu'il n'y pas de baroque que dans la révolte dialectique par rapport à une autre esthétique dont on veut absolument s'en sortir. Ce n'est pas du tout en littérature ce qu'on nous fait voir aux Beaux Arts, le baroque comme une évolution darwinienne et progressive, presque "dans le programme", des successifs progrès du Quatrocento et du Cinquecento...
Quand le baroque fait apparition dans la forme typographique du Wake ce n'est pas en rapport à une quelconque esthétique qui lui serait contemporaine ou immédiate, mais bien par rapport au maniérisme en tant que fait perpétuel. En tant que signifiant de la mort de l'art italien, qui est le vrai traumatisme et le seul traumatisme important de l'artiste cultivé. La suite Florence-Rome-Venise, soit le passage de l'idée à la pure sensualité et finalement à la disparition de toute forme. Le lien qu'on pourrait faire avec une oeuvre trompeusement semblable comme le Tristram Shandy de Sterne mettrait le Wake à un bien bas niveau et dirait assez peu de son ambition poétique.
Et c'est bien la différence entre le roman de l'Antiquité et des romanciers que de la présence de la poésie dans toute écriture "à l'italienne". Les plus gros pavés, les plus gros récits, les sommets de la littérature sont italiens et sont des poèmes.
lundi 24 septembre 2012
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