vendredi 29 octobre 2010

Le sacrifice du sphinx


Ma chère demoiselle, puisque nous sommes arrivés à ce point, je vais vous faire souffrir les plaisirs troubles de mes théories, je vais gémir comme un chat professoral pour bercer votre respiration de rêveuse, assise trop tôt pour être couchée.

La fin de l'art est déjà là, dans la nouvelle culture. Qui est le fou, celui qu'on appelle parasite et s'en fout où ces imbéciles qui chaque jour se battent pour leur honneur ? Qui est le criminel, celui qui suit ses impulsions ou celui qui au nom de sa culture, soit décapite des femmes adultères, soit administre, en pion, la bêtise sécuritaire et le culte hypocrite du travail ? Je connais des bourgeois qui ont, avec leur substitut de culture, la tête creuse du plus archétypal des pions. Qui sont ivres d'argent et pensent que la poésie est pour des cons. Qui savent qu'il faut aplatir toutes ces têtes qui dépassent chez les pauvres.

Ils appellent ma vie des légendes urbaines, ils font état de ce que j'ai pété les plombs. Ils me font passer pour un traître devant tout à la chance. C'est que si je fait péter les plombs du public, les médecins du public prescrivent massivement la pilule de la censure. Pour l'instant pas de plaisir et pas de théorie, juste le chat miaule et le type pète les plombs. Le chemin est ouvert au poète, après ces deux éclats, et au théoricien qu'il est par le truchement de l'oracle.

Je ne peux que parler d'amour ou parler de la femme ou parler du corps, ce sont les sujets gothiques de notre temps. Et je veux faire la distinction entre les femmes à deux têtes et celles à trois têtes. Je dois l'intérêt pour cette distinction à la lecture de Theatre of incest, d'Alain Arias-Misson, mais aussi au fait que j'avais auparavant abrité cette image dans les lignes de mes images. Je ne respire dans ce théâtre "de l'inceste" que la beauté d'un corps d'actrice, un seul corps dont personne ne peut être accusé d'abuser. Je dis trois têtes parce que l'inceste du roman se déroule avec la mère du sujet, sa fille, et sa soeur.

La brune et la blonde, j'ai voulu toujours passer de l'une à l'autre. J'adore les jours ou encore au seuil du bordel j'avais dit : "la blonde". Cela supposait qu'un regard me travaillait déjà. Cela suppose un amour impossible pour une femme qui aurait aussi une tête brune, si je veux être un dieu.

Adultère et inceste sont une affaire de têtes ? Je vous entends sourire. On veut du corps. On veut du corps même dans la parole. C'est pour ça qu'on inventa le sphinx, corps contradictoire de jeunette à devinettes. Corps d'aigle, corps félin, corps virginal. Mais le sphinx, quelqu'un s'est soucié de son féminin sacrifice, précipitée du bord d'une falaise ? Pour donner un corps à l'abîme. Celui que les femmes mariées détestaient, dont Jocaste (ou Epicasté chez Homère) et duquel les hommes se sentaient coupables.

Où est l'épée du tragique chez Oedipe, à part la mort lointaine d'un inconnu, la pendaison d'une mère et épouse, le suicide d'une peste ? Il se crève les yeux, c'est la moindre des choses, mais il vit une longue vie, il est un bourgeois déjà, un névrosé "malade des pieds" pour dire qu'il garde sa tête. Pas de décapitation comme celle d'Orphée (songeons aussi à Salomé, peut-être le seul mensonge à clé du Nouveau Testament) où de corps écartelé. Pas de métamorphose non plus, nous ne voulons pas du fantastique en philosophie, nous passons sous silence le travestisme de tout oracle, de toute oeuvre d'art, cette épée qui perce un vagin en nous ou qui nous rends hommes.

Où est l'épée sinon dans le carrefour de poussière d'une jeunesse qui passe ?

Aucun commentaire: